Teenage Bed – ‘Grand Val’

Teenage Bed – ‘Grand Val’

Album / Pale Figure / 07.04.2023
Indie pop lo-fi

L’artisanat lo-fi a toujours mis en avant des figures attachantes, du Beck des débuts jusqu’à Alex G aujourd’hui. Il est toutefois peu courant que ces figures proviennent de notre hexagone national, et encore plus rare que celles-ci aient eu l’occasion de construire des liens forts avec des musiciens issus de cet artisanat outre-Atlantique. Lorsque Nathan Leproust, alias Teenage Bed, raconte certains des évènements qu’il a vécus alors qu’il traînait ses basques à Philadelphie, s’acoquinant avec Scotty Leitch (Shelf Life) ou encore Abby Trunfio (ex-Pill Friends), c’est d’abord l’authenticité et la sincérité de son propos qui ressort : ‘Ce n’est que là-bas que j’ai appris que le chanteur de Pill Friends était mort d’overdose. Je me suis senti un peu con, d’ailleurs, parce que j’avais une forme de fantasme par rapport à cet endroit-là, par rapport à tous ces groupes qui chantent à propos de dépression et de prendre des cachets… Pour moi, cela faisait partie d’un certain folklore. Mais en fait, sur place, je me suis rendu compte que c’était des enjeux plus tragiquement réels que ce simple décorum-là‘.

Nathan Leproust est avide d’expériences singulières, ses voyages d’un bout à l’autre du continent nord-américain le prouvent. Et Grand Val, son premier album officiel couronnant six ans de pérégrinations à la fois géographiques et musicales, est logiquement une œuvre qui l’est elle aussi, singulière. Conçu d’abord seul, au fur et à mesure des déplacements de son auteur, puis avec l’aide d’Antoine Biotteau, ingé-son ayant travaillé sur les enregistrements de Laetitia Sheriff et Bantam Lyons (Mardell), ce premier disque ne craint ainsi jamais de souffler le chaud et le froid. On y navigue entre pièces ultra-intimistes telles que Ride et Wired, où l’essentiel du propos tient à l’équilibre lancinant entre voix et guitare, et des morceaux aux sonorités plus contrastées et synthétiques : See You xx et ses volutes electro, For Maybe – son beat hip hop, son refrain solaire et la digression crépusculaire en mode ambient qui la conclue – ou encore However et ses parties vocales triturées à l’excès. Cochant à la fois ces deux cases intimistes et synthétiques, un titre tel que Honey (what’s the deal) fait s’étirer nappes cristallines et bandes passées à l’envers pour offrir un écrin rêveur à la voix de Nathan. Une voix qui est singulière, elle aussi, grave, chaude et traînante… On pense au Beck Hansen des débuts, encore une fois – voire même à Smog et Bill Callahan. Et ce, même si Nathan s’aventure sans complexes dans des falsettos plus fragiles de temps à autres.

Toute aussi personnelle est l’utilisation du français sur trois titres de l’album, dont Pop Urbaine – soutenu par un de ces breakbeats citadins qui éloignent définitivement Grand Val d’une étiquette folk peu pertinente – et surtout La Violence, avec sa basse ronde et ses croches imparables aux guitares, proches du post-punk, ainsi que sa mélancolie tenace, qui rapprocherait par ailleurs Teenage Bed d’une certaine néo-variété actuelle. Considérant la langue de Molière comme un matériau aussi ‘plastique’ que l’anglais, Nathan Leproust accorde ainsi autant d’importance aux sens des mots qu’à leurs sonorités, et ce faisant, arrive à relier les deux langues au sein d’un tout cohérent. La construction de l’album, ainsi que le récit qui sous-tend cette dernière (comment un trauma amoureux amène le narrateur à effectuer un voyage initiatique qui pourrait ou ne pourrait pas lui apporter des réponses), participent à cette réussite, également.

Rien n’est de toute façon trop évident dans les paroles de Grand Val, à l’image du mystère et du sentiment d’attente qui plane le plus souvent sur la musique de Teenage Bed. Nathan le reconnaît lui-même dans Big Sur, pièce centrale du disque et titre qui, paradoxalement, se trouve être sa chanson la plus ‘narrative’ : ‘I’m not the kind of guy that is taking pictures / Well, sometimes, I do try but my technique is obscure‘. Dixit son auteur : ‘C’est à partir du moment où tu es en capacité de formuler quelque chose que tu peux mieux le décrire. Ce morceau, c’est le moment où je me suis rendu compte qu’effectivement je m’autorisais rarement à être précis. Mais c’est à partir de cette réflexion que j’en viens à l’être, précis, et donc à exorciser un peu le truc, finalement‘. L’art du clair-obscur chez Teenage Bed n’empêche pas les éclairs de lucidité de surgir, tout comme il autorise certaines fulgurances à venir frapper votre esprit ou vos oreilles. Et c’est dans ces interstices-là – sur la longueur, au fur et à mesure des écoutes – que Grand Val creuse son sillon.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
For Maybe, La Violence, Wired, Big Sur, Pop Urbaine, See You xx


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