
23 Juin 23 Swans – ‘The Beggar’
Album / Mute / 23.06.2023
Post rock – Néo folk
Si la vie des Swans n’a jamais été un long fleuve tranquille, une forme de paix et de quiétude semble pourtant traverser ses eaux discographiques depuis quelques années maintenant. Non pas que leurs performances demeurent moins intenses (ceux qui ont eu la chance d’assister à l’une des Grand Messe du groupe le savent mieux que quiconque), mais l’avènement de la seconde ère du projet avec sa reformation en 2010 semble tendre désormais vers autre chose que l’expérience des limites qui a fait sa renommée depuis le milieu des années 80.
Radicaux, les Swans le seront toujours, et heureusement. Mais pour leur sixième album studio depuis la fin du hiatus – le seizième donc en réalité, si l’on excepte les albums lives, EP’s et autres publications parallèles – Michael Gira semble, dans ses textes comme dans ses choix de composition et d’arrangements, se livrer plus que jamais sur ses questionnements face à la mort. Comme si, à la lumière de ses soixante-neuf ans, celui-ci ne pouvait plus détourner les yeux du crépuscule de sa propre existence. Une existence vécue à travers l’esprit, dans les méandres plus ou moins mystiques s’offrant à lui au cours de ses pérégrinations spirituelles, mais aussi dans le corps, ce fameux corps qui emprisonne et conditionne chaque geste, chaque mouvement tout en lui donnant une forme, une puissance, un impact. Passer par la peau, le sang, la chair, les tripes, les os sont ici les seules conditions pour accéder, comme sur la pochette de ce nouvel album, au cœur du projet. Jamais avare en images quasi chirurgicales, les Swans surprennent ici avec la présence prédominante d’un champ lexical lié à l’environnement et à la matière. Des mondes telluriques mais aussi aquatiques et végétaux puisque pierres, roches, montagnes, lacs, océans, plaines, collines, forêts, ciel, nuages et étoiles peuplent ce disque qui alterne entre le micro (le corps, les organes, les particules) et le macro (les matières, surfaces, planètes et univers). Des images d’Épinal qui accompagnent l’émergence de la notion d’un paradis jamais réellement cité (pas même dans le titre Paradise Is Mine) que l’on imagine plus proche des neufs cercles de l’enfer de Dante que du jardin d’Eden. Avec un mendiant (The Beggar) qui semble, lui aussi, plus proche de Diogène de Sinope que de Saint François d’Assise.
Entouré des fidèles Kristof Hahn (lap steel guitar), Chris Pravdica (basse, claviers) et Phil Puleo (batterie), Michael Gira a fait ici également appel aux membres de son side-project Angels Of Light pour un versant plus folk conservant toutefois l’intensité et la catharsis caractéristiques des Swans. On retrouve ainsi le vétéran Larry Mullins (Nick Cave & The Bad Seeds, Iggy & The Stooges) aux percussions et aux claviers, la multi-instrumentiste Dana Schechter et, plus étonnamment, le discret mais savant sound-designer Ben Frost. L’album s’incarnant à travers deux tracklisting différents (un exclusivement réservé au vinyle et l’autre pour le CD et les plateformes), force est de constater qu’une savante alchimie fonctionne dans les deux cas, même si celui du microsillon reste sans doute le plus évident. Sans pour autant rendre interchangeable toute logique de construction d’une narration globale, ces deux versions racontent une seule et même histoire, celle d’un homme à la recherche d’une issue, entre transcendance et résilience. ‘There is no way in, there is no way out‘ chante-t-il dans The Parasite. Et pourtant. Tout, dans ce disque, semble chercher une porte de sortie, un espoir, une brèche, une lumière, une mélodie immuable qui permettra de clôturer le voyage d’une vie. Non pas que l’album semble avoir vocation à mettre un terme à l’aventure musicale de Swans ou de Michael Gira, mais il acte cette obsession déjà présente dans les précédents. Du ‘Am I ready to die?’ de Paradise Is Mine au ‘Goodbye lovers, goodbye friends, goodbye daughter, goodbye sons’ de No More Of This, en passant par le ‘I will soon disappear, who cares and who knows where I’ve been or will go?’ d’Unforming, la question de la fin est omniprésente, prépondérante, terrassante. Et si des anges semblent peupler ce monde (Michael Is Done), c’est peut-être que l’enfer existe déjà sur terre. Que ce soit dans les paroles damnées de Los Angeles : City Of Death (morceau qui prouve par ailleurs que le groupe sait encore être très efficace avec un titre d’à peine plus de trois minutes au compteur) ou dans le sombre et tortueux riff aux teintes gothiques à mi-chemin de The Beggar, l’apocalypse n’est jamais bien loin. Mais c’est bien dans la courte distance prise avec celle-ci que les pièces les plus flamboyantes du disque exhalent. De l’extatique et Rimbaldien Ebbing touché par la grâce à un No More Of This qui rappelle à la fois le Dylan de Knockin’ On Heaven’s Door et les derniers disques de Nick Cave dans ses arcs mêlant simplicités acoustiques et apanages synthétiques, Swans sait tisser des liens, des références, comme dans le riff labyrinthique de The Memorious qui évoque, entre autre, le Discipline de King Crimson. Tout un monde en soi, une mémoire, et surtout une identité, forgée sur les cendres du passé en miroitant les horizons futures. Car si la fin est de tous les instants, n’oublions pas : ‘when Michael is done, some other will come’ (Michael Is Done). Les derniers seront les premiers donc. Et cela tombe plutôt bien puisque, plus que d’ordinaire, les mélodies restent en tête, marquent, tout comme certains fragments des paroles, avec leurs mots-clefs et leurs images. Non pas que le barde Gira verse désormais dans la pop-song, mais peut-être, plus simplement, que ses idées directrices sont désormais plus limpides, concises et précises, tout en gardant la volonté d’étirer le temps et d’arranger les espaces entre grande répartition de fréquences et fortes variations d’intensités. En témoigne le collage gargantuesque de The Beggar Lover (Three) et ses quarante-trois minutes au compteur, qui se paie même le luxe d’inclure des fragments du titre It’s Real It’s Coming, tiré du précédent album, histoire d’appuyer la référence mortuaire en repoussant les limites de la chronologie et du temps.
Moins sphynx que d’ordinaire mais plus phénix que jamais, Swans bouleverse et touche alors en plein cœur, comme pour mieux nous rappeler qu’il reste, derrière ses murs de sons, l’un des groupes les plus obsédant et captivant de sa génération.
A ECOUTER EN PRIORITE
The Parasites, Los Angeles : City Of Death, Michael Is Done, The Beggar, No More Of This, Ebbing
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