
13 Juin 25 Swans – ‘Birthing’
Album / Mute / 30.05.2025
Post rock
Il y a deux ans, The Beggar plaçait la thématique de la mort au centre des préoccupations de Swans, à tel point que nous étions en droit de nous demander si cet opus n’avait pas vocation à devenir le chant du cygne du groupe le plus fascinant de sa (re)génération. Cela aurait été pourtant bien mal connaître Michael Gira et sa bande (très proche de celle du chapitre précédent puisque composée Kristof Hahn, Phil Puleo, Dana Schechter, Chris Pravdica, Larry Mullins et Norman Westberg). L’idée de renaissance – ou plutôt de réincarnation – allait alors pouvoir donner le terreau fertile du nouvel album des new-yorkais qui s’offre à nous aujourd’hui, comme pour mieux nous rappeler que tout est, n’a toujours été et ne sera jamais pour eux qu’une question de cycle.
Et il faut un certain courage, comme d’ordinaire, pour s’attaquer au nouveau mastodonte de la formation : avec ses sept titres pour près de deux heures de musique, la messe est dite. Cependant, loin d’être inaccessible, l’ascension de cette nouvelle montagne sonore est plus décourageante vue de loin – la forme – que de près – le fond. Jamais décevant, ce bloc de granit tient toutes ses promesses avec son équilibre étonnant mais réussi entre instants méditatifs et déflagrations cathartiques. Et ce, toujours, en se jouant de la temporalité, étendue et élastique, avec ce prisme de la durée qui se joue plus que jamais de nos perceptions et de nos attentes.
Ainsi The Healers, passage de la mort à la vie, ne délaisse jamais pour autant les tréfonds des ténèbres. Entre soleil, nuages et pluie diluvienne, son tout dernier segment s’abat sur nous, pauvres pécheurs, avec l’arrivée des quatre cavaliers de l’apocalypse après des appels lancés, en vain peut-être, vers le divin contre les élans auto-destructeurs de l’humanité (‘I killed the daughter of my own mother, now I’m my mother, going under‘) pour espérer obtenir un temps de paix tourné vers une méditation curative. Celle-là même qui semblera trouver sa conclusion dans un Rope (Away) plus proche que jamais des plus belles heures de Godspeed You! Black Emperor, tout en drone et micro-variations, avec un supplément fête païenne dans son ultime axe. Entre temps, les guérisseurs deviendront parfois chaman au singulier (‘I, alone, will fix it‘) comme dans I Am A Tower, hommage à peine déguisé, du moins dans sa seconde section, au Heroes de Bowie. Héros du passé mais aussi héros en devenir, comme ce bébé que l’on entendra balbutier sur le titre éponyme, Birthing, ou ce Guardian Spirit pas si bienveillant que cela, qu’il faudra affronter comme un double maléfique pour espérer le dominer et triompher (‘My life is your death‘). Les paroles se font alors plus que jamais chirurgicales et organiques, entre conjurations et prophéties.
Loin de se satisfaire des recettes déjà fomentées, Swans initie sur ce volet au moins deux ouvertures absolument étourdissantes. La première, Red Yellow, nous plonge dans un univers fantasmagorique, hanté, avec sa voix murmurée et ses arpèges inquiétants, pas si loin de ce qu’avait proposé à l’époque les Goblins pour le Suspiria de Dario Argento. Et ce malgré sa condition de piste la plus courte du disque (moins de sept minutes, presque une interlude à côté des autres titres qui excédent tous les dix minutes). Mais la vraie pépite, expérimentale et anxiogène à souhait, c’est bien The Merge, aventure radicale fascinante et inattendue. Nichée quelque part entre le Bitches Brew de Miles Davis, l’abstract jazz de ses camarades de The Necks et le mysticisme noir de Current 93, cet avant-dernier morceau rappelle aussi les tourments gothiques de Soundtrack For The Blind, album malade des Swans (mais quel album de la formation ne l’est pas après tout) publié il y a près de 30 ans, à laquelle la pochette de Birthing fait d’ailleurs curieusement écho : ainsi la terre retourne à la terre, et dans ses plus vertigineuses profondeurs. Cette impression de pénétrer dans le neuvième cercle des enfers, là où Lucifer réside dans la Divine Comédie de Dante, a beau ne pas être totalement nouvelle chez la formation, elle fait toujours son petit effet.
Ainsi vont le bien et le mal, le corps et l’esprit, la vie et la mort chez Swans. Mains dans mains, entre disparitions et réincarnations. Une histoire vieille comme le monde, sans cesse réinventée mais qui fonctionne toujours aussi bien. Et si finalement c’était ça, le secret de l’immortalité ?
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