09 Sep 24 SUUNS – ‘The Breaks’
Album / Joyful Noise / 06.09.2024
Post pop expérimentale
Suuns – trio aujourd’hui composé de Ben Shemie, Joseph Yarmush et Liam O’ Neill – dynamitait la scène rock mondiale en 2018 avec l’imposant Felt. Un album aux traits sombres, au son brumeux et à la complexité fascinante qui a marqué la décennie de son empreinte et passionne encore aujourd’hui. Depuis, les montréalais adeptes de la stratégie du pas de côté ont sorti le sec et épuré The Witness en 2021 et font partie de ces groupes dont chaque sortie est attendue avec impatience.
Sur son septième album The Breaks, le deuxième pour Joyful Noise Recordings, Suuns change encore de direction et s’aventure cette fois sur un versant pop plus affirmé (au sens très large du terme) et exploite une palette de sonorités encore inédite dans sa discographie. Collages, boucles, synthés, samples et instruments MIDI s’entrechoquent à la manière d’un Tricky bricolant avec le répertoire de Tangerine Dream. La façon de composer a été aussi très différente, O’ Neill prenant la place de producteur, arrangeant, structurant et éditant de nombreuses idées de Shemie et Yarmush à partir de sessions Pro Tools, triturant les ‘chansons’ (toujours au sens très large du terme) sur une période de deux ans. ‘The Breaks est en quelque sorte devenu l’opposé de notre disque précédent. Rien n’a vraiment été joué ensemble. Nous avons été aspirés par un genre de vortex, à essayer de nouveaux trucs et tester une foule de choses différentes‘ explique Jarmush.
Le résultat de ces mois de travail et d’expériences se résume à ces 8 pistes excitantes, aux lectures multiples et aux structures mouvantes qui donnent le tournis. On retrouve dans l’inaugural Vanishing Point un condensé de l’atmosphère générale de The Breaks : voix trafiquée, vocodée et traînante, cassures rythmiques, volutes synthétiques qui donnent à chaque composition des contours indéfinis exigeant qu’on y revienne encore et encore. Sur Fish On A String, l’écriture et l’approche de Ben Shemie épousent les univers de Lou Reed et d’Alan Vega dans un chant sublimé par un détachement altier, sur fond de nappes minimalistes et de programmations arides. Road Signs And Meanings, qui vient juste après le dispensable Rage, rappelle par ses motifs orientaux leur collaboration de 2015 avec les incontournables Jerusalem In My Heart de Radwan Ghazi Moumneh. Une discrète percée dans la world music qui vient élargir le panorama, déjà ample.
Puis Overture, par ses velléités mélodiques assumées, amorce une deuxième partie d’album beaucoup plus aérienne et grandiloquente, avec des titres plus forts, plus structurés, plus aboutis en quelque sorte. Comme s’il s’agissait de les dissimuler pudiquement ou de les réserver aux plus audacieux qui ont accepté de faire avec eux la première partie du chemin. Parce que les deux derniers morceaux sont incontestablement les plus poignants. Notamment Doreen, ballade nue, road trip intime qui se replie d’abord sur quelques arpèges tortueux pour s’étirer langoureusement vers un arpeggiator surprenant évoquant les ambiances des B.O de John Carpenter par ce côté kitsch, hypnotique mais aussi très attachant.
L’éclatant single éponyme The Breaks, dans le sillon de Brian Eno, clôt magistralement un ensemble dense et cohérent, onirique dans les grandes largeurs et terre à terre à de rares instants. Un nouvel album qui évoque évidemment les eaux troubles mais familières de Tame Impala ou Beach House à la différence près que Ben Shemie, Joseph Yarmush et Liam O’Neill cherchent eux davantage le point de rupture, la cassure qui consiste à faire de chaque éclaircie, les prémices de l’orage et de la moindre étincelle, un prétexte à l’explosion. Une combustion spontanée bien trop rare dans le rock d’aujourd’hui.
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