Sufjan Stevens & Angelo de Augustine – ‘A Beginner’s Mind’

Sufjan Stevens & Angelo de Augustine – ‘A Beginner’s Mind’

Album / Asthmatic Kitty / 24.09.2021
Pop folk technicolore

A Beginner’s Mind aurait pu être un projet simple à résumer : celui de deux copains un peu folkeux qui s’embarquent mutuellement dans une production commune. Ils s’enferment dans un chalet isolé, et réalisent le meilleur album pop-folk de l’année. Fin. Mais comme toujours avec Sufjan Stevens, rien n’est aussi évident à dire, car si le résultat est là, petit miracle de grâce et d’équilibre, son apparente simplicité est toujours le fruit d’un projet ambitieux mené avec science et ironie.

A l’origine, il y a la signature d’Angelo de Augustine chez Asthmatic Kitty, le label de Stevens, en 2012. Le musicien y dévoile deux albums d’un folk épuré à l’extrême, lofi, âpre et sombre, presque l’exact pendant de celle du patron, arty et baroque. Tous les deux cultivent pourtant le même goût de la musicalité et des mélodies simples et efficaces. La collaboration finit par être assez évidente, un premier morceau – Lacrimae – est enregistré en 2019 et clôt aujourd’hui l’album, avec cet évidence des grands duos fusionnels (on imagine Simon et Garfunkel improvisant sur  All Of Me Wants All Of You, sur deux accords de guitare et un reste de sample d’Aporia). L’osmose qui naît avec ce titre permet aux deux musiciens d’imaginer avec ambition une collaboration apportant la lumière et le souffle qui manquaient aux compositions du disciple Angelo, et permettant au maître Sufjan de reprendre contact avec le sol après Aporia et Convocations, expériences particulièrement perchées.

A l’origine, il y a aussi Patrick Swayzee et Keanu Reeves. Et là, ça mérite une explication : pour que le duo fusionne, les deux compères ont imaginé partager plus qu’un studio et une partition. Ils se sont donc enfermés dans un chalet du grand Nord américain avec leurs DVD préférés afin de se faire une culture cinématographique commune et bâtir leur album sur cet ensemble de références. Il ne s’agissait pas de créer la bande-son de leur séjour, mais de se laisser prendre par le propos, l’esthétique ou le trouble (Sufjan Stevens confirme qu’en effet, plus le film posait problème, voire se prêtait à la polémique, plus ils avaient envie de composer dessus). Le cinéma est donc la porte d’entrée de l’album, un prétexte à inférences plus qu’à hommages pour les quatorze titres d’A Beginner’s Mind.

L’importance (pas si anecdotique) de Patrick Swayzee et Keanu Reeves pour le duo est à trouver dans le titre de l’album, inspiré de Point Break. Quand on connaît le goût de Sufjan Stevens pour la spiritualité et la pop culture, on imagine les conversations de fin de soirée infinies autour des aventures et du lâcher-prise de ces pseudo-bouddhistes aux mantras digestes et feel-good.. L’esprit du débutant, c’est l’étonnement du maître devant l’adaptabilité du disciple, la liberté et la fraîcheur d’esprit de celui qui n’est pas encore formaté, et reste ouvert à toutes les audaces. En extrapolant à peine, on imagine dans ce titre et la forme de l’album une manière d’adoubement officiel d’Augustine par Stevens. Mieux encore, l’envie de crier que les deux ne font qu’un.

En effet, tout au long de l’album, on peine à démêler le travail des deux musiciens. Certes, quelques titres (Olympus, You give Death A Bad Name, This Is The Thing) font magistralement écho aux réalisations folk les plus réussies de Stevens (Seven Swans, Carrie And Lowell), voire aux plus anciennes (le carillon de Back To Oz tout droit sorti d’Illinoise). Certes, des intros ou des outros sont divinement arrangées de synthés ou d’accords de guitares inspirés par le maître, mais difficile de trouver une signature évidente sur la plupart des titres (Reached Out, Lady McBeth In Chains, Beginner’s mind, Murder And Crime, It’s Your Own Body And Mind, Fictional California…) depuis la construction des phrases mélodiques jusqu’aux paroles, le plus bluffant restant encore l’indistinction des voix. Dans le registre des berceuses fatiguées portées par des voix haut perchées, on les savait tous deux très forts, mais de là à s’interroger au fil des quatorze pistes sur qui assure tour à tour la mélodie et la seconde voix, on est particulièrement déconcerté. La science de l’écho et de la réverbération de Stevens finit de brouiller les pistes et confère à l’album une homogénéité qui confine à l’unicité d’esprit entre ses deux composantes.

De prime abord, la seule chose apparemment rebutante de l’album a peu à voir avec la musique : c’est sa pochette où se dresse une gorgone ailée aux couleurs criardes sortant des eaux… Mais pour peu qu’on s’interroge sur cette ‘erreur’ esthétique, on trouve encore trace de la subtile ironie pop et mystique qui accompagne le projet (et la carrière de Stevens) depuis le début : la réalisation de cette ‘oeuvre’ kitschissime a été confié à  l’artiste ghanéen Daniel Jasper, spécialiste des détournements et interprétations peints d’affiches hollywoodiennes. On comprend rapidement que sa réponse au cahier des charges d’A Beginner’s Mind ne puisse ressembler à rien d’autre qu’à cela. Un concentré de références et de détournements technicolores qui ne se prennent jamais au sérieux. Ainsi avance le disciple, ainsi A beginner’s Mind trouve sa Voie : un trésor secret dans un écrin tape à l’oeil.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Back To Oz, You Give Death A Bad Name, Olympus, (This Is) The Thing, Lost In The World, Lacrimae


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