
28 Mai 25 Stereolab – ‘Instant Holograms On Metal Film’
Album / Warp / 23.05.2025
Indie pop
Quinze ans qu’on attendait ça. Quinze ans qui se sont écoulés depuis Not Music, dernier album studio d’un groupe n’ayant jamais vraiment disparu, mais qui n’avait pour autant rien publié de nouveau depuis. Pour occuper l’espace, il y a eu quelques interviews, des reformations de circonstance, des tournées enthousiasmantes, pourtant Stereolab se transformait peu à peu en archive vivante, en silhouette floue dans le rétroviseur, en persistance rétinienne plus qu’en flash. Mais nous y sommes : Instant Holograms On Metal Film marque enfin le grand retour du combo franco-anglais créé par Laëtitia Sadier et Tim Gane au début des années 90.
La genèse de ce nouveau disque remonte à l’interminable tournée de 2019 montée à l’occasion des rééditions vinyles des classiques du groupe (Transient Random-Noise Bursts With Announcements, Mars Audiac Quintet, etc.). Une parenthèse pendant laquelle Gane et Sadier ont retrouvé progressivement le goût de la création, testant de nouvelles idées lors des balances ou en backstage. Le véritable déclencheur (commun à une flopée de groupes) fut l’enchaînement des confinements de 2020–2021 qui ont offert au duo un espace-temps propice à l’expérimentation en studio, chacun depuis son lieu de vie (Berlin pour Gane, Paris pour Sadier). Des échanges de pistes, de voix, de textures électroniques se sont multipliés via internet dans une démarche quasi artisanale, et ont contribué à cette réactivation après une décennie de silence discographique. ‘On n’a pas dit ‘on va faire un nouvel album’, on s’est juste remis à bricoler. Puis les morceaux ont pris vie, naturellement’ raconte le compositeur.
Coproduit par Gane lui-même, avec le concours du fidèle Joe Watson (ingénieur du son et claviériste depuis les années 2000), Instant Holograms On Metal Film a été enregistré avec Andy Ramsay et Xavi Muñoz, et accueille quelques contributeurs de luxe comme Cooper Crain et Rob Frye de Bitchin Bajas, Ben LaMar Gay (compositeur/jazziste multi-instrumentiste), Holger Zapf (Cavern of Anti Matter), Marie Merlet (Monade) et Molly Read entre autres. Et passée l’inquiétude des premières secondes de l’instrumental Mystical Plosives, aucun doute : c’est bien à Stereolab que l’on a affaire. On retrouve dès Aerial Troubles ces claviers analogiques qui tournent en boucle, ce groove rigide et mécanique, et surtout la voix blanche et distante de Laetitia Sadier (une des plumes les plus singulières de l’indie-pop mondiale) toujours présente, toujours pleine d’ironie froide et de sous-texte politique. Ses paroles, chantées en anglais ou en français, prennent la forme d’aphorismes calmes et surréalistes, presque anodins, mais qui disent beaucoup (Le Coeur Et La Forme). Comme à son habitude, elle ne crie pas, elle (d)énonce, telle une vigie discrète qui observe le monde avec distance et lucidité. Pas de grands discours moralisateurs, juste des constats qui flottent, s’infiltrent, et finissent par s’imposer.
Les fondations elles aussi sont intactes. Stereolab ne cherche pas à rajeunir ses sonorités, encore moins à coller à l’époque. Le groupe continue simplement de dérouler sa grammaire, fidèle à lui-même (et à ses Moog, Farfisa ou Juno), mais sans s’auto-parodier. L’album avance à pas lents mais sûrs, et certains morceaux (Immortal Hands, Electrify Teenybop! ou les deux parties de If You Remeber I Forgot How To Dream) sont de véritables machines en mouvement perpétuel. Ils tournent, s’étirent, varient à peine, mais captivent par la chaleur de leurs textures, l’intelligence de leurs agencements, et confirment que Stereolab reste maître dans l’art de la boucle et de la superposition. Il y a moins d’éclats mélodiques que dans Dots And Loops, moins de fulgurances rythmiques que sur Emperor Tomato Ketchup, mais le propos est clair : Instant Holograms On Metal Film n’est ni un disque de rupture, ni un fan service nostalgique. Il s’inscrit dans la continuité. Et dans une époque obsédée par l’innovation forcée, c’est presque un geste radical. C’est surtout un album qui s’écoute comme on visite une maison inhabitée depuis trop longtemps : tout est à sa place et poussiéreux, mais tout paraît pourtant avoir légèrement changé.
Là où certains groupes vieillissent en singeant leur jeunesse, Stereolab assume sa maturité. Le ton est plus calme, parfois introspectif mais toujours avec cette tension souterraine, ce mélange unique de pop répétitive, d’avant-garde douce et de critique sociale enfouie dans des slogans minimalistes. Et c’est peut-être ce qui donne à ce treizième album sa force tranquille : il n’a rien à prouver, juste à exister. Certes, il ne bouleversera pas l’histoire du groupe, mais il y ajoute un chapitre solide, sincère, pertinent. Pas un come-back, mais une preuve de vie. Quinze ans qu’on attendait ça.
Photo : Joe Dilworth
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