Squid – ‘Cowards’

Squid – ‘Cowards’

Album / Warp / 07.02.2025
Art rock

Le début des années 2020 était synonyme d’extase pour tout fan de rock à l’affut d’un renouvellement qui se présentait enfin. Quatre groupes à la musique bien distincte se tiraient la bourre sous l’étendard d’un pseudo post-punk, en réalité plus proche du rock progressif qu’autre chose. black midi s’est depuis dissous, laissant Geordie Greep et Cameron Picton tracer leur chemin en solo ; Black Country, New Road doit encore confirmer avec son prochain album qu’il n’était pas complètement dépendant de son chanteur Isaac Wood ayant plié bagage en 2022 ; Fontaines D.C. a quant à lui atteint une popularité nouvelle avec Romance au prix d’une certaine compromission avec le rock alternatif. Il ne reste plus que Squid à la trajectoire finalement la plus régulière et cohérente : après des débuts tonitruants avec Bright Green Field, le quintet de Brighton a su confirmer avec son polymorphe O Monolith. En restant dans cette même dynamique d’un disque tous les deux ans, le groupe dévoile désormais Cowards, toujours supervisé par Dan Carey, grand gourou du rock outre-Manche qu’on ne présente plus.

Disparition du ton braillard d’Ollie Judge (chant, batterie), dos tourné au punk des débuts, Cowards tire bel et bien un trait sur la période Bright Green Field. Si O Monolith était déjà l’esquisse d’une musique plus complexe aux inspirations croisées, ce troisième disque en est l’approfondissement sur tous les aspects : des compositions avant-gardistes à la structure toujours plus multiforme, une dimension acoustique davantage prononcée. Squid saute à pieds joints dans le genre Art rock, accompagnant ses guitares de cuivres, cordes, clavecins et autres séquenceurs électroniques. Dans cet ensemble composite, le groupe réussit à trouver une cohérence subtile qui est probablement le résultat d’un processus créatif éminemment collectif, où chaque note est imaginée ensemble, poussant l’exercice de la recherche sonore à son paroxysme. A cette complexification instrumentale, le collectif vient ajouter une nouvelle dimension littéraire à ses textes : neuf morceaux pour neuf histoires, parfois inspirées des dernières lectures d’Ollie Judge. A titre d’exemple, Crispy Skin, premier single et ouverture de l’album, tire ses références cannibales dérangeantes du roman Cadavre Exquis d’Agustina Bazterrica, tandis que Frank, principal protagoniste de Building 650, est directement extrait du roman noir Miso Soup de Ryū Murakami. Entre la dégustation anthropophage et les promenades dans les quartiers du plaisir de Tokyo, le ton est donné d’entrée.

Du point de vue strictement musical, Squid fait une nouvelle fois preuve d’une inventivité féconde, n’hésitant pas à poursuivre son exploration de paysages bien diversifiés. Sur Fieldworks II, les violons du Ruisi Quartet offrent un terrain de jeu parfait aux cinq garçons pour illustrer toute leur justesse, Judge témoignant par ailleurs d’une légèreté inédite dans sa voix. L’enchainement avec Cro-Magnon Man est particulièrement décontenançant : le morceau est un mélange de bidouillages électroniques accompagnés de chants d’inspiration tribale, détonnant avec le reste du disque sans pour autant être hors-sujet. Squid sait bel et bien tout faire, semblant évoluer à chaque fois dans une direction où on ne l’attend pas en multipliant les structures découpées et irrégulières. Dans cette veine, Showtime! est une démonstration : les violons viennent se mêler au phrasé de Judge, avant d’être progressivement suppléés par une instrumentation électronique et de se conclure sur des percussions splendides, dignes héritières du 15 step de Radiohead. Enfin, Cowards s’achève en apothéose avec le morceau-fleuve Well Met (Fingers Through The Fence). Le quintet fait une place à la chanteuse expérimentale écossaise Clarissa Connelly qui vient embellir une première séquence remplie de mysticisme, tandis que dans un second temps, Arthur Leadbetter (clavier, violoncelle) s’est amusé à échantillonner un clavecin, joliment accompagné par la trompette de Laurie Nankivell (basse, cuivre). Là encore, Squid fait preuve d’imagination, allant jusqu’à sampler les rayons du vélo de Laurie pour renforcer l’étrangeté d’une partition déjà bien élaborée. Well Met revêt même un certain côté post-rock par son ascension continue : Cowards n’aurait pu s’achever d’une meilleure manière.

Si le groupe a sans doute perdu une part de l’authenticité qui le caractérisait un temps, sa musique s’est profondément élaborée sans pour autant tomber dans des excès intellectuels pompeux. Cowards est avant tout le résultat de cinq musiciens particulièrement doués, tous multi-instrumentistes, et qui semblent par-dessus-tout avoir trouvé une manière bien à eux de travailler ensemble. Depuis son EP Town Centre publié en 2019, Squid a fait du chemin, prenant le temps de tisser un son qui lui est propre, parfaitement identifiable, requérant pour autant à chaque fois un petit temps de digestion afin de déceler toutes ses subtilités et de percer son caractère énigmatique.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Crispy Skin, Fieldworks II, Showtime!, Well Met (Fingers Through The Fence)

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