
04 Juin 25 Spelterini – ‘Hyomon Dako / Magnésie’
Album / Kythibong / 23.05.2025
Kraut noise
Sur le fil. Celui du rasoir, découpant la matière sonore en arêtes tranchantes, qui surgissent discrètes à l’horizon, puis s’avancent lentement et vous encerclent comme autant de montagnes infranchissables, imposantes et hiératiques. Paysage aussi enlevé que monolithique, sur lequel le fil de vos pensées se déroule ou se rembobine. Au fil du temps, des secondes qui s’écoulent, c’est la nature du temps lui-même qui devient insaisissable. Écoute-t-on ce morceau depuis cinq ou vingt minutes ? Devenir-éternel et devenir-infinitésimal se confondent. Puissance sourde de la répétition primordiale.
Répétition, oui, mais aussi progression. Du pareil au même n’est jamais du pareil au même. Le métronome évolue subrepticement, voire s’emballe sans crier gare, comme dans la furieuse coda punk-noise de Hyomon Dako. Ou alors ralentit, se dérobe, et se délite sur la conclusion de Magnésie. L’image-temps passe en rythme slow motion, et les suspensions de plus en plus amples resserrent la focale sur chaque seconde du film. Un carré de la pellicule après l’autre, l’œuvre s’étire en déclinaisons de plus en plus longues, jusqu’à atteindre la stase finale.
Pour arriver à ce résultat, il faut au préalable s’offrir l’espace nécessaire, à travers une décalcomanie d’itérations aux intentions et intensités variables, en gradations permanentes. On reprend le fil, donc, et on recommence. Fil d’une histoire obsessionnelle et minimaliste qui s’écrit à chaque coup de caisse claire. Fil à couper le beurre noise à chaque larsen de guitare. Fil qui tricote des entrelacs fiévreux à travers chaque variation de la ligne de basse initiale. Fil à la patte, aussi, qui ramène en permanence l’auditeur aux origines krautrock et motorik pour mieux repartir ailleurs ensuite. Can ? Neu! ? Broderie no wave, rappelant celle du Sonic Youth des tout débuts ? Ou canevas post-punk à la This Heat ? Ainsi relancée, telle un bilboquet, l’aiguille refuse de choisir son point de chute.
Amenez-nous d’urgence un fil d’Ariane pour trouver la sortie de ce labyrinthe, où tous les murs semblent de prime abord se ressembler – surfaces grises et brutalistes qui serrent la gorge, impact initial claustro. Si jamais il venait à Ariane l’idée de se défiler, toutefois, une observation plus précise d’une ou deux parois austères finira par révéler des nuances plus chatoyantes derrière l’apparente sévérité du décor – nuances aux tonalités toujours froides certes, mais néanmoins psychédéliques, subliminales, sinueuses. Les repères sont là, qu’ils soient analogiques ou subtilement électroniques. Il ne tient qu’à votre troisième œil de les percevoir.
Le fil du funambule, enfin, pour conclure cette métaphore… filée. Qui renvoie au choix de Pierre-Antoine Parois, Arthur de La Grandière (Papier Tigre, La Colonie De Vacances), Meriadeg Orgebin et Nicolas Joubaud (issus de Chausse Trappe) de baptiser leur supergroupe d’après Maria Spelterini, célèbre figure italienne ayant traversé les chutes du Niagara en marchant en équilibre au dessus d’un vide bouillonnant d’écume toujours renouvelée. Cette même écume, têtue et intarissable, qui abreuve ce dernier LP de la formation nantaise, et ce même vertige qui vous prend au bout de l’écoute des deux compositions d’une vingtaine de minutes chacune le constituant, tels deux battants d’une même perche permettant de faire fi de la gravité à force de concentration sans failles. Celle où chaque intention, chaque relance de la batterie, chaque léger mouvement du corps, compte. Sur le fil, tissant autant de moments hors du temps. Là où chaque couture devient aussi fascinante que l’ouvrage global.
A ECOUTER EN PRIORITE
Magnésie
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