Slowthai – ‘Ugly’

Slowthai – ‘Ugly’

Album / Method / 03.03.2023
Indie hip hop

Le premier trimestre 2023 n’est même pas achevé que l’album de l’année est peut-être déjà tombé. Après TYRON (2021), touchant mais assez inégal surtout au regard de la révélation qu’avait été son prédécesseur Nothing Great About Britain, Tyron Kaymone Frampton alias Slowthai revient avec un disque qui balaie tout sur son passage.

Arrivé comme un diable à ressort sur la scène musicale britannique en 2019, Slowthai injecte du sang neuf dans la scène hip hop/grime avec son approche punk, son flow complètement barré et son discours sans filtre à l’écriture acérée, qui contraste avec sa personnalité faussement léthargique. Le gamin des quartiers de Northampton se retrouve propulsé dans le grand bain de l’industrie en un temps record, enchaînant une flopée de collaborations plus prestigieuses les unes que les autres dans le monde du hip hop et au-delà (Tyler, The Creator, A$AP Rocky, Denzel Curry, James Blake ou IDLES, entre autres). On se demande un temps si, après la ponte de ses deux premiers albums, cette notoriété soudaine ne va pas lui monter à la tête et le faire vriller, si Slowthai ne sera pas un de ces artistes tout feu-tout flamme qui brûle très vite et trop fort avant de disparaître dans un relatif oubli.

Mais voilà qu’il revient, inattendu, prêt à en découdre, plus énervé que jamais. Clairement, la naissance de son premier enfant n’a rien fait pour l’assagir, bien au contraire. Si ses multiples collaborations lui ont appris quelque chose, c’est de savoir s’entourer des bonnes personnes et de fouler des terres a priori insoupçonnées. Slowthai aurait pu continuer sur sa lancée hip hop et, à défaut de se renouveler, sans doute aurait-il été tout à fait convaincant. Mais pour UGLY, il décide de revenir à ses racines punk, celles qu’on entendait déjà en filigrane dans Nothing Great About Britain. En compagnie de son comparse historique Kwes Darko, il regroupe dans le studio du producteur Dan Carey des musiciens issus de formations pop et rock (Fontaines DC, Beabadoobie, Jockstrap…) et, contre toute attente, la magie opère dès les premières secondes.

Si Doorman, le morceau qui l’avait révélé, est une claque, alors Yum, le titre sur lequel nous accueille UGLY, est un parpaing en béton lancé à pleine vitesse dans nos faces. Avec ce brûlot indus/EDM, anxiogène, claustrophobe et pourtant irrésistiblement dansant, Tyrone nous raconte ses addictions, ses démons autodestructeurs et sa relation conflictuelle avec la thérapie, nous sommant de respirer, respirer tant bien que mal, avant de s’achever dans une cacophonie machiniste, un souffle de panique et un cri de rage libérateur. Slowthai a changé mais il est là, partout, avec sa voix immédiatement reconnaissable mais plus assurée que jamais, scandant, chuchotant, vociférant, mais surtout chantant (un talent qu’on ne lui connaissait pas vraiment) sur un enchaînement de titres tous plus déments et surprenants les uns que les autres. Le fougueux Selfish, d’une simplicité implacable, et les hymnes pop-punk sautillants Sooner et Feel Good (digne d’un Gorillaz de la grande époque) établissent les bases d’un album dont on sait désormais qu’il a déjoué nos attentes.

Premier revirement de tonalité, le déchirant Never Again, avec son intro portée par un mélancolique Ethan P. Flynn, nous plonge soudain dans l’ambiance d’une bande-son à la Jon Brion. Le britannique, narrateur hors pair, revient ici à ses racines rap et spoken word pour faire le récit d’un retour douloureux au monde qui l’a vu naître, notamment à travers le destin tragique d’un de ses amours passés, tuée par son compagnon. Never again. Plus jamais. Le grinçant interlude Fuck It Puppet suffit à nous rappeler en à peine plus d’une minute que Slowthai est définitivement l’un des rappeurs les plus singuliers de sa génération, là où Wotz Funny fait figure d’hommage direct à sa filiation avec le punk UK.

Mais la majorité de l’album puise avant tout son inspiration dans un univers résolument rock indé, dans ce qu’il a de plus inspiré et d’enthousiasmant. Rien ne l’illustre aussi bien que sa deuxième moitié, avec le doux-amer Happy, que nous défions quiconque de ne pas écouter en boucle, ainsi qu’Ugly et Falling, ballades rock épiques et cinématographiques dignes des Pixies époque Where Is My Mind. Ou encore Tourniquet, sur lequel Slowthai hurle sa frustration comme s’il était possédé par le flow de JPEGMAFIA lui-même. Et si on pensait avoir fait le tour de ses qualités de caméléon, c’est avec un petit bijou pop-folk qu’il nous fait retomber en douceur. Avec 25% Club, il déborde de vulnérabilité et de tendresse comme jamais. Simple, sans grandes effusions, il pose son cœur sur la table et nous laisse repartir, méditatifs et chamboulés, pris d’une furieuse envie de réécouter le disque, encore et encore.

UGLY (paradoxal acronyme de ‘U Gotta Love Yourself’, tatoué comme un mantra sur la joue de l’artiste) a tout ce qu’il faut pour devenir un album culte. Il est de ceux qu’on désespère d’entendre, de ces disques qui arrivent à point nommé lorsqu’on commence à se sentir un peu blasé. L’écriture imparable et la fougue irrépressible de Slowthai épousent ici à la perfection le talent d’une équipe de collaborateurs au sommet de leur art pour nous offrir une oeuvre où rien n’est à jeter, où chaque détour et chemin de traverse est justifié, sincère, émouvant et jamais chiant. L’anglais a atteint quelque chose d’assez rare : ce moment où un artiste transcende les limitations qui lui collaient à la peau, fait éclater le moule des attentes et ne nous laisse pas d’autre choix que de le suivre, au gré de ses envies et de ses états d’âme. Le mec était déjà redoutable. Avec UGLY, il est désormais incontournable.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE

Yum, Selfish, Feel So Good, Never Again, Happy, Ugly, Tourniquet


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