
15 Fév 21 Slowthai – ‘TYRON’
Album / Method / 12.02.2021
Rap
‘What’s a rapper without jewellery? A real person, surely’. En une seule punchline issue de nhs, Slowthai vient de résumer le concept derrière son deuxième album, TYRON. Face A, le sourire psychotique du Joker ou de Jack Nicholson dans Shining – ou, pour reprendre une référence plus typiquement british, celui du Chat du Cheshire, schizophrène, inquiétant, imprévisible… Ajoutez à cela la drogue, l’alcool, les controverses médiatiques, l’imagerie horrifique et des paroles antisociales – le tout sur une bande-son qui reprend tous les codes de la trap, de la grime, ou du drill – et vous aurez un vrai personnage de comics, anti-héros hédoniste tendant un miroir souvent dérangeant à la perfide Albion. Ça, c’est donc pour la face A. Car en face B, c’est une autre histoire qui se déroule, à savoir un besoin d’introspection, et une envie de se démarquer du personnage ci-dessus pour aller explorer des failles plus intimes ou encore montrer plus d’empathie envers son prochain. Avec un résultat musical forcément plus old school que sur la première face, privilégiant les textures soul, R’n’B ou encore electro-lounge, et bénéficiant d’interventions pertinentes de pointures comme James Blake, Mount Kimbie ou encore Kenny Beats.
TYRON, c’est donc ce qui rassemble les deux visages de Tyron Kaymone Frampton, born and bred in Northampton, England, accro au cinéma hypnotique de Kubrick, Tarantino ou encore Danny Boyle, trublion monté sur ressorts qui termine tous ses concerts en caleçon et qui arrive bourré comme un coing aux cérémonies du gotha de l’industrie musicale – beauf et lourd les mauvais jours, politiquement cinglant les bons, comme lorsqu’il trimballe une tête décapitée de Boris Johnson en papier mâché sous le bras. Et à l’origine, un gosse des quartiers défavorisés dont on moquait l’élocution lente et le caractère lunaire. L’ascension de Slowthai, la maitrise incontestable de son flow nasillard et grinçant, sa visibilité médiatique, ses concerts à 5 livres… Tout cela représente donc une vraie revanche sur le déterminisme social, même si cette revanche ne pourra jamais être complètement accomplie. D’où cette nécessité de continuer à s’identifier au dealer de drogue, à l’idiot du village, au fou dangereux, au schizo – bref à l’underdog. Même si, finalement, cet underdog est probablement aujourd’hui plus une affaire d’image qu’autre chose.
Avec ses deux parties distinctes, TYRON est donc une tentative d’assumer pleinement ce paradoxe pour pouvoir mieux recoller les morceaux par la suite. Outre la production habituelle de Kwes Darko et SAMO, Slowthai a su bien s’entourer pour cet exercice à visée thérapeutique – avec en premier lieu Mount Kimbie et James Blake, donc, mais aussi les rappeurs Skepta, A$AP Rocky et Denzel Curry. Là où le bat blesse, malheureusement, c’est que le résultat final n’évite pas certains écueils, à savoir un disque ‘bancal’ dans la mesure où sa face A, censée être celle des bangers les plus ‘in your face’ de l’album, fait un peu pale figure par rapport aux pépites de Nothing Great About Britain (sans même parler de ces simples incroyables qui n’étaient pas inclus dans ce premier LP, par exemple Drug Dealer ou Polaroid). Si CANCELLED et MAZZA restent des singles corrects, leur présence ne rattrape ainsi pas le remplissage qui suit, à savoir les inconséquents VEX et WOT qui semblent n’avoir été ajoutés que parce qu’ils permettaient au concept général du disque de prendre forme.
Heureusement, DEAD et PLAY WITH FIRE rétablissent quelque peu la barre, la fin ralentie de ce dernier titre permettant même une transition subtile vers une face B certes plus introspective, mais surtout plus convaincante que la première. La co-production de Kenny Beats sur terms lorgne par exemple sur le meilleur de Kanye West ou Drake, aidée par la suave voix de Dominic Fike. Et si les vocalises de James Blake volent un peu la vedette à Slowthai sur feel away, on ne lui en tiendra pas trop rigueur, vu que ce titre suit directement nhs, un des meilleurs morceaux jamais enregistrés par le jeune rappeur, et qui, au-delà de l’hommage annoncé aux services de santé britanniques, est surtout une invitation zen à prendre le bon comme le mauvais dans la vie. ‘What’s good music without silly songs?’ y demande, goguenard, Tyron Frampton, comme s’il était déjà conscient de ces quelques critiques adressées dans nos lignes. D’une certaine manière, TYRON semble lui-même livrer une réponse à cette question. Et c’est une réponse chaotique, irrégulière, parfois décevante, parfois inconséquente, mais souvent brillante aussi… Une réponse à l’image de son auteur, en forme de puzzle dont il manque quelques pièces encore, et ne laissant pour l’instant entrevoir qu’un énigmatique sourire.
A ECOUTER EN PRIORITE
CANCELLED, DEAD, PLAY WITH FIRE, terms, nhs, feel away
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