17 Mai 24 Shellac – ‘To All Trains’
Album / Touch & Go / 17.05.2024
Noise rock
Encore tout à notre joie et excitation de voir arriver le nouvel album de Shellac en ce printemps qu’on apprenait, hébétés, quelques jours avant sa sortie, le décès de son leader légendaire Steve Albini, victime d’une crise cardiaque à l’âge de 61 ans. L’expression galvaudée ‘ascenseur émotionnel’ prenait alors malheureusement tout son sens et la chute, de plusieurs étages, fut violente.
Pour les plus anciens d’entre nous, Albini, c’est la bande son d’une époque, ce parfum enivrant de l’adolescence insouciante (hurlée par Cobain) où, collégiens boutonneux et transpirants, nous nous échangions entre deux cours des cassettes (copiées bien entendu) de Surfer Rosa des Pixies, In Utero de Nirvana ou Rid Of Me de PJ Harvey pour agrémenter nos longs trajets en bus. Plus tard, ce furent les CD (gravés bien entendu) gorgés de morceaux de Sloy, Mogwai, The Ex, les Thugs qu’on se refilait curieux et fébriles à la sortie du lycée. Tous ces disques avaient cette particularité d’être marqués du sceau Albini, la statue du commandeur, l’alpha et l’omega pour tout amateur de rock des années 90-2000. L’architecte en chef d’albums cultes et indépassables au son particulier et unique, capté en prises live et façonné dans ses studios de Chicago. Une vision militante et intransigeante qui veut que ‘si un disque prend plus d’une semaine à être réalisé, c’est que quelqu’un se trompe‘. Un rythme qui lui a permis de produire plus d’un millier d’albums. Rien que ça.
Alors pour s’aérer l’esprit entre deux mises en boîte, il fonde avec Bob Weston et Todd Trainer le power trio Shellac, son exutoire, son terrain de jeu et d’expérimentation qui ébouriffe la scène noise rock depuis les années 90 et cinq albums. To All Trains est le dernier en date et paraît de fait, dix ans après Dude Incredible, à titre posthume. Difficile donc de parler du disque sans le corréler à la disparition récente de son leader. Pourtant, même si c’est tentant, on évitera de parler de ‘testament’ ou de chercher dans l’album les signes prémonitoires et annonciateurs de sa disparition. On ne s’attardera donc pas sur la pochette, cliché glaçant en contre-plongée d’un hall de gare qui symbolise les carrefours, le champ des possibles, la croisée des chemins mais aussi en l’occurrence le terminus et les adieux définitifs. On ne relèvera pas non plus le titre évocateur du dernier morceau du disque (I Don’t Fear Hell) qui s’achève, en plus, comme un chant du cygne, au son d’un dernier riff de guitare d’Albini. Trop facile.
On préfère se plonger tête baissée dans les dix titres et ressentir encore une fois toute la fougue et la fulgurance qui caractérisent le trio depuis ses débuts. Ce son brut et minimaliste qui nous le rend à la fois hostile et tellement familier. Le disque est sans surprise, très court (à peine trente minutes) dans le pur style Shellac : voix en retrait, un combo basse-batterie autoritaire par-dessus lequel explosent des riffs abrupts et tapageurs. Rien de neuf et c’est très bien comme ça !
Pourtant ce sixième album se démarque de ses prédécesseurs par un ensemble plus cohérent et resserré, moins expérimental (mais toujours peu conventionnel) d’où émergent même parfois quelques mélodies portées par la voix ample et assurée d’Albini (How I Wrote How I Wrote Elastic Man). Les titres sont plus structurés et gagnent en relief comme sur le tendu WSOD en ouverture qui tarde à se dévoiler pour mieux nous surprendre par son final impétueux. Les textes, toujours aussi surréalistes et sarcastiques, s’accrochent parfaitement aux compositions tonitruantes et expéditives qui nous régalent par leur explosivité, notamment les jouissifs Days Are Dog et Scabby The Rat qui ne tiennent même pas les deux minutes. Pourquoi faire plus quand tout est sur la table et qu’il suffit de se resservir à l’envi ? On reprend donc volontiers de l’excellent Scrappers soulevé par sa rythmique blues-rock destructurée aux relents fusion, le morceau de bravoure de l’album. Le reste est tout aussi captivant et on ne sait plus où donner de la tête entre le math-rock épuré de Tattoos, le débordant Chick New Wave ou le lancinant et répétitif Girl from Outside.
On quitte les wagons de To All Trains avec une furieuse envie d’y retourner encore et encore. Le disque, malgré sa courte durée, semble inépuisable et en dévoile davantage au fil des écoutes. Shellac trouve enfin l’équilibre idéal entre son noise-rock sans concession et sa grammaire décalée, et prouve qu’il avait encore énormément à donner avec à sa tête, et c’est étrange à écrire aujourd’hui, un Steve Albini qui n’a jamais paru aussi en forme.
A ECOUTER EN PRIORITE
WSOD, Chick New Wave, Tattoos, Scabby The Rat, I Don’t Fear Hell
Sylvain Falcou
Posted at 12:29h, 18 maiMerci pour cette superbe chronique