Shearwater – ‘The Great Awakening’

Shearwater – ‘The Great Awakening’

Album / Polyborus / 10.06.2022
Art pop

Après six ans d’absence, Shearwater revient sur nos côtes avec un nouvel opus très atmosphérique, d’une élégance folle, qui éveille quelques questions fondamentales : est-ce qu’on ne tient pas là un des plus beaux albums de l’année, et surtout, Jonathan Meiburg n’est-il pas un des compositeurs les plus sous-côté de la pop ?

Difficile de trouver une oeuvre de référence lorsqu’on parle de Shearwater. Le groupe, à géométrie variable, a toujours pu compter sur l’estime critique mais, les projets variant au gré des influences du moment et des envies de son leader, il pouvait s’avérer difficile à suivre. Alors on n’imaginait pas forcément que Jonathan meiburg puisse avoir autant de classe que Thom Yorke ou Nick Cave. On ne pourra plus ignorer la chose après l’écoute de The Great Awakening, et le court résumé des magnifiques entreprises du chanteur lors de ces six dernières années.

On gardait de Shearwater le souvenir de Jet Plane & Oxbow, ce précédent album de 2016 à la musicalité pop grandiloquente, voire vaniteuse, presque gênante. Et on se disait que Meiburg, spécialiste en ornithologie, était parti rejoindre les sternes, beaucoup trop haut pour nous. En 2016, après l’élection de Trump, il décide de se mettre en retrait de la scène. Puis en 2020, l’isolement forcé l’empêche de sortir de son hivernation. A cet instant, ce sont deux albums brillants, avec Loma, qui voient le jour. Entre folk sombre et électro expérimentale, les titres en apesanteur sentent l’orage et les grandes plaines américaines. Meiburg, jamais dénué d’ambition, s’attache ensuite à réinterpréter la trilogie berlinoise de Bowie, puis livre sur Bandcamp, depuis son aire de confinement, des versions piano des titres les plus inspirants de sa discographie, avant de poster un journal musical de ce confinement qui n’a rien à envier en qualité ni en inspiration aux étranges Convocations de Sufjan Stevens à la même période.

The Great Awakening est l’album synthèse qui permet à Meiburg de revenir à l’essentiel du son, à une forme d’âpreté, au plus près de l’émotion, exactement comme Spirit Of Eden le fut pour Talk Talk. Comparer les deux groupes est une évidence, et pas uniquement à cause de la chronologie. L’hommage est évident, assumé, excitant. La voix du chanteur rappelle sans équivoque celle profonde, ronde, caressante de Mark Hollis (sa reprise de Runeii, il y a quelques années, est confondante). Elle effiloche en modulations savantes les phrases comme des nuages au-dessus d’une mangrove. Et comme son prédécesseur, Meiburg a aussi pris son temps, et beaucoup échantillonné, distordu les cordes, tiré des barrissements, des éruptions, des claquements métaliques, fait naître des bruits de sous-bois, de jungle, avant de faire à la nature le don de ce ‘grand éveil’ si inspiré.

Il ne faut pas plus d’une minute pour comprendre que Shearwater a dédié l’album à la nature en général, sa préservation, sa fragilité. Il rappelle en cela la dernière production quasi mystique de Jon Hopkins ou Pantha du Prince. Si le chant, sur les premières notes de Highgate, ont le charme des airs de Jay Jay Johanson, des riffs puissants font craquer l’orage. Puis, le temps encore de s’interroger sur les tentations grandiloquentes du groupe, il apaise la colère dans une ligne de basse impeccable, étirée lentement jusqu’au silence complet. Dans cet album d’une heure, pour lequel il faut savoir rester disponible, la lenteur et la contemplation sont des vertus qu’on apprend dans les mots du titre suivant : Reason Why.

Série de tableaux contemplatifs, descriptifs, immersifs, The Great Awakening peut pécher, pour certains, par son manque d’engagement. Mais le soin du détail, comme la justesse qui accompagne chaque titre  – l’inquiétude avec les percus de Laguna Seca, la montée de cordes obsédante de Everyone You Touch, l’émerveillement puis la sidération du drône-piano de Milkweed – fait de l’ensemble de l’album une merveille d’observation, et révèle une capacité à nous mettre au niveau du sol. Une certaine facilité pourrait même nous faire dire qu’on y retrouve les qualités de l’ornithologue. Et que dire de l’homogénéité des cinq derniers titres de l’album, unis dans la mélancolie et les bruits de forêts, tout en modulations minimalistes, soyeuses et arty, accompagnés de vocaux précieux, susurrés comme des prières ?

Si l’on outrepasse The Great Orchestra, véritable erreur de casting dans cette odyssée naturelle, même si sa volonté est justement de rappeler nos tentations consuméristes, il n’y a rien à jeter dans la nouvelle épopée de Shearwater. Meiburg signe avec cet album le grand éveil de tout son talent, si on en doutait encore, à la face du monde.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Highgate, No Reason, Milkweed, Detritivore, Aqaba, Wind Is Love

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1 Commentaire
  • Eric
    Posté à 11:37h, 18 juin Répondre

    Belle chronique pour… un bel album

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