Shabaka – ‘Perceive Its Beauty, Aknowledge Its Grace’

Shabaka – ‘Perceive Its Beauty, Aknowledge Its Grace’

Album / Impulse / 12.04.2024
Jazz

Andre ‘3000’ Benjamin, Sam Shepherd aka Floating Points, Esperanza Spalding, Saul Williams, Leanne La Havas, Laraaji… Un pléthorique cortège d’artistes, musiciens et poètes, a pu assister, au plus près, à la mue du géant Shabaka Hutchings. Car Perceive Its Beauty, Acknowledge Its Grace marque un moment pivot dans la vie du géant de jazz britannique. Après une bonne décennie passée à nous abreuver de sons de saxophone déchainés ou apaisés, Shabaka a décidé de ranger son instrument fétiche, mais pas comme d’aucuns rangent leur raquette… Il a tout simplement annoncé entrer dans une période d’hiatus indéfini vis-à-vis de son totem pour se concentrer dorénavant sur les instruments à vent.

Ce tournant n’est cependant pas une complète surprise. En 2022, le natif de Barbade nous avait livré un premier aperçu de ses compétences de flutiste avec Afrikan Culture sur lequel il semblait avoir tissé une corde coltranienne, l’éloignant sensiblement de John tout en le rapprochant d’Alice. Mais alors que l’association entre son acolyte Sam Sheperd et un autre maitre du jazz spirituel – Pharoah Sanders – apparaissait comme une digression stylistique, cette évolution vers du jazz ambient/spirituel prend ici l’allure d’une véritable bifurcation introspective.

La question était donc de savoir comment le britannique allait s’y prendre pour nous chambouler sans son saxophone tenor. Quelques mois seulement après un ultime hommage à John Coltrane lors d’une ré-interprétation onirique de Love Supreme à Londres, Shabaka nous offre déjà des éléments de réponse. Perceive Its Beauty, Acknowledge Its Grace marque par sa douceur et ses sons prégnants d’instruments à vent. Sa passion pour ces instruments débuta par l’apprentissage d’une petite flûte japonaise faite de bambou qui répond au nom délicat de shakuhachi. Le musicien commença à amadouer cette flute longitudinale lors du confinement pour poursuivre son enseignement directement au Japon. Alors que sortir le moindre son prend normalement une année, le King l’utilise déjà sur deux morceaux de cet album pivot (As The Planets And The Stars Collapse, I’ll Do Whatever I Want). C’est vous dire le sérieux du personnage qui a depuis exploré d’autres flutes, du Brésil à la Malaisie en passant par les pays slaves.

Si les déhanchés sont à conserver pour d’autres salles, des morceaux comme Insecurities sont d’une beauté absolue. Les murmures de Moses Sumney épousent le souffle de Shabaka et les cordes délicates de harpe dans une sorte de catharsis absolue. Plus que tout autre, ce morceau illustre à quel point l’anglais parvient à magnifier le sublime malgré l’absence d’un ténor énergique, tout en atteignant une symbiose avec ses comparses. À l’instar de ses nombreux projets, malgré le nombre vertigineux d’invités, ceux-ci n’apparaissent finalement que comme une excuse pour nous délivrer ses propres messages.

L’album pêche cependant par son manque d’homogénéité, certains morceaux étant nettement moins envoûtants (Living). Là où le ténor apportait une diversité par son alternance entre moments calmes et tourmentés (hormis une apparition furtive (et définitive ?) sur Breathing), la flute possède un spectre nettement plus étroit. Ce relatif fouilli pourrait être lié au processus créatif singulier puisque le King ne livre aucun son à ses comparses avant une courte semaine d’enregistrement, afin de créer des atmosphères suspendues (I’ll Do Whatever You Want). Difficile donc à ce stade de s’empêcher de regretter des projets aussi essentiels et variés que Sons of Kemet, The Comet Is Coming, ou Shabaka and the Ancestors.

Perceive Its Beauty, Acknowledge Its Grace sera probablement autant joué sur des platines de passionnés que par des coachs de vie experts en transe chamanique promettant de sauver l’énième dépressif souffrant des conséquences d’un burnout de longue durée. Malgré une évolution instrumentale fondamentale, Shabaka parvient encore à nous prodiguer un remède énergétique, mais cette fois composé d’un flux sans la moindre tension. N’en déplaise aux amateurs de dancefloor…

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A ECOUTER EN PRIORITE
Insecurities, I’ll Do Whatever You Want

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