Servo – ‘Monsters’

Servo – ‘Monsters’

Album / Le Cèpe – Exag / 01.12.2023
Post punk gothique

Cela commence par un bruit métallique rappelant autant la course folle d’un bolide que la mise en marche d’une scie circulaire. Puis viennent les stridences hystériques des guitares, avant qu’une lourde et brutale rythmique nous cogne au plexus, méthodiquement et impitoyablement. Enfin, les incantations de la voix installent un climat inquiétant de cérémonie païenne, quand elles ne sont pas déchirées de façon intermittente par de furieux cris. C’est Island, le premier titre qui donne le ton du bien nommé Monsters, le troisième album de Servo. Glitch 2.1 suivi de Day And Night Monsters, clôturent une entrée en matière trilogique qui ressemble fort à un équivalent musical de la politique de la terre brûlée. L’interlude, qui voit s’élever des chants sacrés, permet de reprendre son souffle mais l’on se doute qu’il n’y a là que l’illusion d’un apaisement. On reprendra dans un registre toujours éprouvant mais sur des tempos légèrement plus diversifiés : Peaks s’accompagne d’une voix rappelant celle de Dave Vanian de The Damned, ce qui s’avère au fond normal pour un morceau à la tonalité gothique-punk ; Stadium alterne déclamations de hooligans et appels à une prière décadente ; Thank You/Maniac verserait presque dans un post-punk marqué par Protomartyr s’il n’était percuté de plein fouet et à intervalles réguliers par une basse claquant comme une grande voile en pleine tempête, tandis que le chant s’applique à étendre sa sinistre et grave amplitude dans un univers décharné semblant tout entier livré aux forces infernales. A partir de ce moment là, et sachant que l’on approche du terme de l’album, que l’on ne s’attende pas à bénéficier de répit : Who Else Likes Surprises, que l’on jurerait hurlé par un dément, achève de nous tourmenter dans une ambiance de slasher movie, pour finalement ouvrir grandes les portes afin de laisser la place à Giants, puissant et terrible dans sa dimension épique.

Monstrueux, ce nouvel album de Servo l’est clairement, que ce soit dans les thèmes abordés, liés à la subversion des normes, que dans l’impact phénoménal de la musique proposée. Jusqu’ici plutôt versé dans une forme de psychédélisme sombre, n’hésitant pas à étirer ses morceaux pour approfondir ou diversifier ses inquiétantes ambiances sonores, le trio de Rouen s’est désormais recentré en véritable rouleau compresseur, rapide, impitoyable et violent, pour mieux remporter la mise sur scène. Genre Blietzkrieg-stratégie. Et il faut bien l’avouer, le résultat est étourdissant et assourdissant. Pour peu que l’on goûte ce mélange de cold wave, de post-punk et d’effets de choc à la limite de l’indus, on sera comme un poisson dans l’eau, ou plutôt comme un corbeau hystérique sur un arbre décharné une nuit de pleine lune. On a là un album étonnement compact, essentiellement sauvage et tribal mais, étrangement, croisant l’expression d’une vitalité naturelle avec les artifices anguleux et tranchants de la civilisation industrielle. Comme si en se confrontant avec toutes les formes d’exploitation et d’aliénation en vigueur dans nos sociétés, la musique délivrée ici parvenait à réveiller des instincts primordiaux, libérant toute leur démesure en réaction aux contraintes subies.

Monsters est fait pour le live, nous disent les Rouennais, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a dans ce déchaînement de brutalité et de climats oppressants une forme de catharsis dont a bien besoin notre époque. Tout cela peut paraître bien pesant, mais que l’on ne s’y trompe pas, Servo est certes sincèrement impliqué dans son expression musicale, mais il n’oublie pas de nous faire sentir que nous sommes dans un jeu, dans un univers artificiel qu’il ne faut pas trop prendre au sérieux. Ainsi, les outrances qui accompagnent les ambiances ténébreuses permettent tout autant la libération des pulsions que la prise de conscience du cadre fictionnel dans lequel celle-ci s’effectue. On est finalement assez proche de l’esthétique du jeu vidéo, côtoyant de suffisamment près les horreurs qui s’y accomplissent, mais malgré tout à une distance suffisante pour éviter d’être leur victime. Notre attirance pour les monstres, au bout du compte, ne révèle-t-elle pas le potentiel de séduction de ces êtres qui se jouent des normes tout en révélant la nécessité de leur présence ? Et l’on se dit alors que Servo pourrait bien nous délivrer, avec ce troisième album, une leçon de lucidité compatible, pourtant, avec une forme de lâcher-prise.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Island, Day And Night Monsters, Stadium, Giants

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