Sarakiniko – ‘Dehors’

Sarakiniko – ‘Dehors’

Album / La Maison des Corbeaux / 13.10.2023
Shoegaze

Il est assez étrange de découvrir le décalage entre le nom d’un artiste et la nature de sa musique. Avec Sarakiniko, on a d’abord les images de cette plage grecque exhibant de violents contrastes entre le bleu profond de la Méditerranée et la blancheur des roches chauffées par un soleil ardent. Puis il y a ce que l’on entend, toutes ces guitares aux multiples effets de distorsion, comme autant de voiles superposés, laissant filtrer une voix au bord du murmure, d’une proximité troublante. Celle de Yann Canevet qui parle d’ailleurs de mud pop pour décrire sa musique, et il est vrai que celle-ci a une épaisseur significative, pleine d’une matière dense, n’offrant des bulles d’aération que par intermittence, et estompant les frontières entre réalisme et onirisme. Mais cet écart entre ce que laisse imaginer le nom de Sarakiniko et sa réalité sonore se comprend peut être comme la conscience d’un idéal à atteindre, ce qui constituerait une métaphore assez judicieuse pour penser la condition humaine, que l’on s’est habitué à voir se débattre dans la boue de l’existence terrestre, à la recherche des moyens de son élévation.

L’évolution de Sarakiniko entre Red Forest – son premier album en 2022 – et Dehors semble aller dans ce sens. Un shoegaze foisonnant et parfois rugueux laissant percer une vibrante sensibilité a cédé la place à un environnement sonore plus diversifié, plus aéré qui, s’il ne remise pas complètement les efficaces formules d’hier, diffuse toutefois ses mélodies avec plus de clarté, sur fond de rythmiques hypnotiques façon Madchester/Primal Scream. Le nouvel usage du français sur trois titres renforce ces changements, puisque le parlé-chanté adopté par Yann Canevet rend son expression plus directe, justifiant par là même un ralentissement du rythme tout en conférant à celui-ci plus de puissance. Du même coup, les guitares prennent leur distance et se délient davantage, ce qui permet aux morceaux de gagner en ampleur, rendant possible l’insertion, dans les vides ainsi créés, d’interjections gainsbouriennes nimbées d’écho ou de mystérieux bruitages électroniques. Comme le titre de ce nouvel album l’indique, l’impression est bel et bien de se retrouver dehors, à l’air libre au milieu de la diversité luxuriante des choses et des êtres, et non plus dans un cocon à la densité réconfortante – mais aussi parfois étouffante – auquel Sarakiniko nous avait habitué sur Red Forest. Pour toutes ces raisons, le morceau éponyme Dehors constitue l’un des deux moments forts de l’album, le second se trouvant cinq titres plus loin avec le premier single, L’Avenir La Fin. On pense à Daniel Darc pour l’un, à Bertrand Belin pour l’autre, mais dans les deux cas la voix s’affirme avec confiance, et ce d’autant plus qu’elle est équilibrée par une autre, féminine celle-là. Ce nouveau couple ainsi formé, sûr de la valeur de ces confessions et prédictions, peut alors servir de noyau autour duquel se déploieront héroïquement les autres instruments, traçant magnifiquement les multiples directions d’une aventure du quotidien.

Autour de ces deux pôles, gravitent des morceaux plus classiquement et classieusement pop, enveloppant leurs mélodies délicates d’une carapace de guitares distordues. Golden Gows est une entrée en matière aussi efficace rythmiquement que représentative de l’album par son souci d’imposer des mélodies lumineuses; OONA, Are We Dead et leurs vocaux vaporeux versent volontiers dans la Dreampop, sans dédaigner les incursions déterminées du côté d’un Shoegaze plus broussailleux ; Human is Past, fier et éclatant en dépit de son constat accablant, mais surtout Lovers Stay Mortal laissent ressurgir des souvenirs de The Jesus and Mary Chain et du chant sinueux de Jim Reid. Si les brumes électriques ne se dissipent pas totalement (et heureusement, d’ailleurs, car il y a là une véritable signature artistique), et si la voix de Yann Canevet continue de chuchoter à notre oreille, l’ensemble, pourtant, acquiert une dimension plus physique, donnant de la chair à ce qui, jusqu’alors, s’enveloppait dans la rêverie.

Dehors s’avère une véritable épopée du quotidien, combinant descriptions directes du monde environnant, éléments oniriques et méditations sur l’humanité. On y expérimente un spleen qui, loin de se complaire dans sa seule expression, accepte de se laisser happer par l’extériorité du monde pour, finalement, se laisser submerger par la découverte d’une toute nouvelle forme de vitalité, lourde de belles promesses.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Dehors, L’avenir la fin, OONA, Human is Past, Are We Dead


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