Sala Bestia – ‘Plenty of Nothing’

Album / Autoproduction / 11.01.2024
Post noise

D’indé à indésirable il n’y a qu’un pas. Au delà des 30 secondes d’attention, l’effet doit obligatoirement être immédiat, comme le flash d’une drogue. Comprenez par là que le système circulaire du streaming subvertit la création. On swipe, on consomme une quantité infinie de musique sans pouvoir même en identifier son contenu. Ainsi, se succèdent une horde de produits dont la durée de validité est abrégée. Une chance de la dernière minute se présente pour le peu qu’on ait de curiosité avec cet album autoproduit qui ravive toutes les interrogations possibles.

Dans le lexique, Sala Bestia pourrait prendre diverses déclinaisons : musicalement, le raccourci est tel qu’il est inutile d’estampiller Plenty of Nothing d’une quelconque abréviation ou comparaison. Pour aussi restreinte que soit l’ambition de ce disque qui n’aurait pas ‘la qualité d’un disque commercial’, False Sentence est le manifeste de pulsions où l’angoisse est recrachée, la concrétion de matières informelles dont l’étrangeté peut à la première écoute s’avérer éprouvante. En matière de désespoir, le trio défalque les scories jusqu’à l’épuisement, contractant au passage chaque dissonance; les captations sonores sont tellement cryptiques que les guitares, épargnées de fignolages, apportent un relief dans un espace resserré. La basse répétitive sur Several Times, couplée à un beat métronomique, contribue à rendre Sala Bestia inclassable, et sa musique d’outre-tombe, obsédante, chargée d’un désarroi incurable. Decision To Cut ouvre une saillie, et on s’y précipite dans une langueur presque maladive.

On y trouve là quelque chose de rassurant, dans une turbulence inexplicable des sens. Un sablier sorti tout droit d’un bourbier qui distille dans chaque grain de sable des filaments de guitares tranchantes. C’est un album (dématérialisé) sur lequel on revient et dont on ne se remet pas. Barricadé des jouissances matérielles de ce monde, Sala Bestia a choisi la voie la plus étroite qui conduit dans des souterrains, avec pour seule lumière, l’éclat rougeoyant de l’oeil.