Run The Jewels – ‘RTJ4’

Album / BMG / 03.06.2020
Hip hop

‘Ils promettent l’éducation mais ne donnent que des tests et des scores / Ils prédisent la population carcérale avec les scores le plus bas / Généralement ce sont ceux des plus pauvres qui me ressemblent / Chaque jour, les nouvelles du soir vous abreuvent de peur gratuitement / Comme engourdi, tu regardes les flics étouffer un homme comme moi / Jusqu’à ce que ma voix passe d’un cri à un murmure : ‘I can’t breathe’ / Et tu es assis là, à la maison, sur ton canapé, à regarder ça à la télévision / Et le mieux que tu puisses faire est une diatribe sur Twitter, qualifiant cela de tragédie’.

Les mots sont extrêmement forts et durs, et bien qu’ils aient été initialement écrits avant le meurtre de Georges Floyd, ils résonnent aujourd’hui d’une manière particulière vu le contexte actuel outre-Atlantique.

Qu’on se le dise, Killer Mike et El-P sont bel et bien de retour aux affaires, et comme souvent le timing ne leur fait pas défaut. Sortir ce nouvel album en pleine période de pandémie mondiale, et au beau milieu d’une révolte nationale pourrait sembler totalement opportun, mais il faut avouer que le hasard fait cruellement bien les choses, et que ce RTJ4 prend une toute autre ampleur au vu de la situation actuelle et de l’époque sombre dans laquelle nous vivons. Beaucoup d’artistes se disent engagés mais peu sont aussi militants que Run The Jewels qui offre ici la bande son dont tout le monde pourrait avoir besoin pour accompagner cette période d’indignations et de révoltes.

Comme sur chacun de leurs albums, les deux comparses tentent ici de capturer l’instant présent tout en lui insufflant ce parfait mélange d’humour décalé et de réflexion politique plus profonde qui frappe les esprits. Mais au delà de ça, ce RTJ4 est également touché par une énergie incandescente retrouvée. Si le précédent disque pouvait paraître précipité et montrait le duo lessivé par le rythme effréné des tournées incessantes, ce quatrième opus voit Killer Mike et El-P plus percutants et motivés que jamais. Sans aucun compromis ni vernis, l’album fait ici référence aux sujets chers au duo : les brutalités policières, les injustices sociales, raciales et économiques, l’éducation ainsi que l’abrutissement via les médias de masses. En clair, les deux rappeurs peignent ici le parfait tableau de ce à quoi ressemble l’Amérique de Trump, avec ses inégalités les plus profondes et le chaos qui y règne depuis des années.

Musicalement, les productions d’El-P semblent renaitre ici. Le parfait équilibre entre old school et modernité demeure, mais le tout sonne incontestablement plus agressif, brutal et tonique que jamais. The Ground Below rappelle au bon souvenir des Beastie Boys avec un sample tiré du Ether de Gang Of Four, alors que des allures de reggae habitent le surprenant Holy Calamafuck. Le disque affiche son lot d’invités aussi surprenants que fascinants (2 Chainz, Pharrell Williams et Zach de la Rocha, Josh Homme et Mavis Staples, Greg Nice et DJ Premier), mais chacun fait son apparition sans briser l’homogénéité globale de l’oeuvre. On y retrouve des ambiances de science fiction sur Pulling The Pin, des airs de techno sur Never Look Back ou encore de la trap sur JU$T.

RTJ4 est tout simplement l’une des plus brillantes productions qu’aient réalisé El-P et Killer Mike, certainement leur meilleur opus après le tout premier éponyme sorti en 2013. A l’ère d’un hip-hop qui se contente parfois de tirer sur des ficelles plus faciles les unes que les autres, Run The Jewels réussit à se moderniser sans changer ses fondamentaux, et rappelle les bases sans jamais perdre de vue l’actualité. Avec ses synthés superposés et ces rythmes fracturés, RTJ4 est un album acide et musclé qui pourrait bien se montrer plus viral que n’importe quelle maladie sur terre, et c’est bien là tout le mal qu’on lui souhaite.