Pulp – ‘More’

Pulp – ‘More’

Album / Rough Trade / 06.06.2025
Pop

On l’a dit et redit, cela fait 24 ans que Pulp n’a pas sorti d’album. Et donc voilà qu’il reprend son histoire … là où elle ne s’est pas terminée et encore moins là où elle a commencé. Il l’écrit comme il se doit, en lui assimilant l’ensemble d’un vécu qui en transforme les caractéristiques principales pour les rendre complètement pertinentes en 2025. On s’attendait, bien sûr, à ce que Jarvis Cocker, Mark Webber (guitare), Candida Doyle (claviers) et Nick Banks (batterie), en personnes de goût et d’esprit, ne se vautrent pas dans l’attitude ridicule consistant à vouloir singer leur propre âge d’or. Mais à vrai dire combien pensaient réellement qu’ils réussiraient à satisfaire les hautes attentes que leur retour ne pouvait manquer de susciter ? Le fait, pourtant, est là : avec More, Pulp est au rendez-vous de ses propres exigences, et va même peut-être au-delà. Non pas que ce nouvel album surclasse les précédents, mais il a le grand mérite de conduire le quatuor vers des contrées inédites. Elle est là la réussite de ce comeback : ne pas renier l’essence du groupe en en exploitant les tendances singulières (pop, disco, orchestration symphonique à la limite du pompeux) tout en faisant en sorte que celles-ci soient marquées et, même, métamorphosées par l’expérience de ses membres.

Les thèmes évoqués ne sont pas joyeux, et les sentiments éprouvés lors de l’écoute inclinent le plus souvent vers une forme de mélancolie, mais les onze nouveaux morceaux proposés ici sont également traversés par une forme de sagesse ou, à tout le moins, par une forme d’acceptation de la vie telle qu’elle est aujourd’hui. On peut bien avoir envie de verser une larme à certains moments, mais l’impression que le groupe de Sheffield est parvenu à tisser des liens harmonieux avec le monde sans ignorer les aspects les plus douloureux de celui-ci ne nous quitte pourtant jamais. La nouvelle musique de Pulp n’est, de ce point de vue, absolument pas vieillissante, mais plutôt mature. Si vieillir consiste à trouver cette forme d’équilibre – y compris dans le rapport à ce qui fait souffrir – que l’on sent de façon continue sur More, alors va pour la vieillesse.

Les deux premiers singles laissaient pourtant présager un album assez dynamique : Spike Island, placé en ouverture de More, avait mis tous les fans d’accord en reprenant avec modestie mais efficacité les atours pop du passé, tandis que le disco Got To Have Love parvenait à faire danser sans racolage à la mode (et sur ce point, la production impeccable de l’inévitable James Ford montre le talent de celui-ci à révéler sans esbroufe l’essence même d’un artiste). Pourtant, ce qui se découvre au fil des morceaux, c’est une tonalité plus grave mais, on l’a dit, parfaitement assumée et soigneusement éloignée de toute tristesse plombante. La première partie de l’album s’avère assez diversifiée mais tout de même bien tranquille. Ainsi le texte de Grown Ups – ciblant les contradictions dans lesquelles nous sommes toutes et tous avec l’âge adulte, ayant désiré y parvenir le plus vite possible pour, le reste de notre vie, vouloir y échapper – est particulièrement réussi, et Farmers Market, avec sa magnifique orchestration et son interrogation existentielle finale (N’est-il pas temps de commencer à vivre ?), émeut invariablement. Cependant Tina, Slow Jam ou My Sex, s’ils s’écoutent agréablement, s’avèrent toutefois plus banals mélodiquement parlant.

Finalement, c’est juste après la césure de Got to Have Love que commence la grande œuvre. Background Noise, probablement le sommet de l’album, voit Jarvis Cocker abandonner la distance ironique qui lui est familière pour, le plus sincèrement du monde, chanter de façon splendide la disparition de l’amour. L’envolée du refrain peut bien frôler l’emphase, l’émotion surgit pourtant en submergeant rapidement toutes les résistances que l’on serait peut-être tenté de lui opposer cyniquement. C’est poignant, comme du Scott Walker prêt à se dépouiller d’une bonne part de ses artifices pour mettre à nue son humanité. Plus mesurée, mais toute aussi touchante dans sa profonde justesse, A partial Eclipse déploie avec davantage de mélancolie l’érosion des sentiments, et contrebalance habilement le lyrisme de The Hymn of the North. La grandiloquence de ce dernier titre pourrait le desservir, sauf qu’en enveloppant la déclaration du frontman de Pulp à son fils – ‘So don’t forget your northern blood / No, never forget your northern blood / Please stay in touch with me / In this contactless society‘ – elle parvient à donner à celle-ci une authenticité bouleversante. Le temps passe, et il faut accepter de voir les nouvelles générations s’emparer d’un monde dont on n’est plus le principal acteur. C’est donc le moment du crépuscule, A Sunset, et si une forme d’impuissance est confessée face au cours des choses – ‘I’d like to teach the world to sing / But I do not have a voice‘ -, et s’il est bien fait remarquer que tout ce qui existe est devenu marchandise au sein d’un spectacle généralisé, on se demande malgré tout si, lorsque Jarvis Cocker nous parle du coucher du soleil comme de l’attraction de l’année pour laquelle il a payé sa place, les couleurs embrasant la totalité du ciel, célébrées par la foule, sont les derniers éclats d’un monde perdu ou le signe d’une renaissance prochaine.

More est donc un bel album aux prises avec le temps qui passe, mesurant avec justesse et profondeur sa fuite comme les menaces qu’il couve, évoluant dans la fragilité d’un présent lourd de tout un vécu, mais plein – finalement – d’un amour inconditionnel pour le monde. C’est assez nouveau chez Pulp, et c’est ce qui rend, au fond, son retour si émouvant. De quoi avons-nous besoin en ce moment nous demande-t-il ? D’amour, tout simplement. La réponse est simple mais pas simpliste, et espérons qu’il nous faudra moins de temps pour l’accepter qu’à Jarvis & co pour nous la proposer.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Spike Island, Farmers Market, Got To Have Love, Background Noise, A Partial Eclipse, The Hymn Of The North.

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