Psychotic Monks – ‘Talking Through Repetition’

Psychotic Monks – ‘Talking Through Repetition’

Album / Vicious Circle / 23.08.2024
Noise expérimental

Depuis leur premier album, Silence Slowly And Madly Shines sorti en 2017, The Psychotic Monks impressionnent par leur démarche artistique et leur discographie singulière. Loin de capitaliser comme certains sur le buzz ou la hype du moment, c’est au contraire une remise en question permanente qui leur permet de survoler allègrement la scène indie rock française. Rappelons aussi qu’il n’y a pas de leader au sein du groupe : tout le monde écrit, chante et compose à l’unisson. D’où ce questionnement perpétuel autour de leur pratique, mais aussi de leur positionnement personnel au sein du collectif.

En 2019, Private Meaning First, deuxième disque incendiaire et courageux, renouvelait déjà avec inspiration la grammaire du groupe, avant que le dernier album en date, Pink Colour Surgery (produit par Daniel Fox) transforme l’essai. Né de longues impros en studio en pleine pandémie, écrit comme un acte de résistance à la violence ambiante, l’album explose tous les codes laissant place à un chaos sonore dont le groupe a dompté les folles envolées pour en faire un manifeste sans concession où chaque idée trouve son chemin et son propre espace. Pink Colour Surgery connaît un franc succès et entraîne logiquement ses auteurs dans une longue tournée. Car c’est bien sur scène que The Psychotic Monks enfoncent le clou et marquent le plus les esprits. Véritable expérience physique et sensorielle (‘épreuve’ disent même certains), un set des Parisiens ne ressemble à rien de ce que vous pouvez attendre d’un concert rock. Alors pour figer ces instants mémorables, conscient que quelque chose s’était joué lors des longs mois passés sur les planches, le groupe a eu la très bonne idée de s’enfermer dans le mythique studio francilien La Frette (Nick Cave, Arctic Monkeys, Feist…), et d’enregistrer en une prise, toujours avec Daniel Fox aux manettes, les morceaux/pièces/mouvements (rayez les mentions inutiles) les plus significatifs de leur marathon scénique.

Comme lors de sa tournée, c’est avec le monumental Crash que s’ouvre Talking Through Repetition. Quelques secondes de silence, une rythmique prog qui apparaît discrètement et le rouleau-compresseur se met en marche doucement. Le calme (relatif) avant le tumulte. On comprend que la vague va tout emporter, pour ne jamais rendre nos corps à la surface. C’est brut, c’est intense, avec de temps à autre des éclaircies de vulnérabilité. Crash, avec ses longues minutes de techno-punk glaciales excitantes, nous fait penser que les Monks pourraient considérer sérieusement l’électro comme prochaine étape dans leur évolution, puis on poursuit avec le jouissif Post-Post au format plus conventionnel, rock et dansant, mais qui se transforme vite en fausse piste, le morceau évoluant dès lors vers la déconstruction, à la limite de l’expérimental… All That Fall ne casse pas la dynamique et montre l’imposante réussite collective opérée sur la tournée, cette capacité à improviser individuellement sans jamais perdre le sentiment d’être ensemble, de jouer avec les plages de silence, d’explorer les frontières entre ‘bruitisme’, musique contemporaine et brutalités sonores. Rien d’habituel dans le rock, donc.

Rebelote avec l’audacieux Smile, Imagerie combinant l’inédit Smile (paru sur le split-45t du numéro 3 de Mowno) et Imagerie dans un halo de guitares saturées et frissonnantes qui nous fait perdre tout repère le long de ces presque dix minutes et nous laisse hébétés avec son final bouleversant, à fleur de peau et terriblement osé. Puis Décors se pose et provoque le même malaise qu’en concert. Où va le groupe ? Que cherche-t-il à montrer ? Est-il seul au monde ? Formellement ambitieux, objet de recherche, expérimentation extrême, le titre fait d’ordinaire le tri dans le public entre ceux définitivement largués et ceux happés et submergés pour de bon par l’émotion. Le final cuivré et grandiloquent de Location.Memory ajoute encore plus de trouble, et son caractère répétitif et hypnotique nous plonge dans une transe inquiétante pour les uns, jouissive pour les autres. On peut penser que l’expérimentation va trop loin, et regretter qu’un set des Monks ne soit plus cette explosion électrique à nulle autre pareil que furent leurs concerts d’avant. Mais ne serait-ce pas plutôt à nous de nous débarrasser de nos attentes et d’accepter de lâcher prise, d’écouter notre corps et ses agitations, et de nous laisser guider par l’émotion pure ?

Talking Through Repetition n’est pas vraiment un live au sens propre, ni une relecture opportuniste, encore moins un concept-album. C’est un aboutissement artistique périlleux et risqué, un monolithe à écouter d’une traite, sans respiration si on veut en saisir l’importance, la puissance et la beauté noire. Un témoignage qui contribuera sans nul doute à asseoir le groupe français comme l’une des références du rock indépendant en Europe.

Photo : Dario Holtz

ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Crash, Smile, Imagerie, All That Fall

EN CONCERT

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