Preoccupations – ‘Ill At Ease’

Preoccupations – ‘Ill At Ease’

Album / Born Losers / 09.05.2025
Post punk

Mécanique des fluides. L’inspiration coule de source dans la fratrie Flegel depuis la fin de l’aventure Women. On l’a vu l’année dernière alors que Patrick rencontrait un succès critique inattendu avec son projet vintage hypnagogique Cindy Lee. Bien avant Diamond Jubilee, toutefois, c’est le Preoccupations mené par son frère Matthew qui avait attiré vers lui les oreilles alors titillées par le revival post-punk naissant. Sorti il y a déjà une décennie, l’imprévisible et impérial Vietcong (également premier nom du groupe) s’apparentait de fait à un manifeste esthétique. Un manifeste charbonneux et abrasif, à la limite de l’indus, parsemé de percussions mystérieuses et sursaturées — comme captées par un dictaphone tenu à bout de bras dans l’obscurité d’un entrepôt. Mais un manifeste qui n’en restait pas moins séduisant par son usage d’arpèges foisonnants et de mélodies vocales plus vénéneuses les unes que les autres. À la fois brutaliste et onirique, quasi-no wave, Preoccupations refusait alors de choisir.

Ce refus ne peut fonctionner qu’un temps toutefois. Trois albums plus tard, par l’entremise d’un Arrangements dont certains engrenages menaçaient de tourner dangereusement à vide, les quatre canadiens semblaient avoir atteint les limites de leur compromis entre textures bruitistes et élans mélodiques. D’où Ill at Ease aujourd’hui, qui pousse le curseur un cran supplémentaire vers la synth-pop eighties, et s’éloigne ainsi de la rigueur hermétique des débuts pour laisser circuler une tension plus souple, plus sinueuse. Pour faire simple, on est un poil plus proche de New Order que de Joy Division ici, même si This Heat arbitre encore les débats. Un courant d’air qui tombe à point nommé pour nettoyer la couche de poussière et de rouille qui menaçait d’étouffer Flegel, Munro, Christiansen et Wallace dans leur atelier.

Que l’on se rassure, la nervosité de Preoccupations est intacte. C’est juste qu’elle est canalisée de manière sensiblement différente aujourd’hui, avec une pression continue, maîtrisée, presque fonctionnelle. Cette nouvelle dynamique permet même l’irruption de codes à la limite du mainstream — qui restent généralement subliminaux, mais qui sont sans nul doute plus assumés qu’auparavant : apanage de basses synthétiques pouvant évoquer Depeche Mode ou OMD (Bastards, Ill At Ease), chœurs féminins sur Focus, solo à la Guitar Hero (certes d’une élégance folle) sur le morceau titre… Pas de quoi dénaturer la charte graphique du groupe. Et pourtant une petite révolution (industrielle?) pour qui s’attachera aux détails du dernier audit.

Quelques pannes et impasses demeurent : un Retrograde qui, comme son nom l’indique, fait un peu du sur-place sur le tapis roulant, ou un Krem 2 qui ne remplit pas totalement son rôle de point d’orgue rassembleur en bout de tracklist. Qu’importe, on trouve dans Ill At Ease assez de titres réactivant sans peine la chaîne de transmission new wave au moment où la production pourrait faiblir (Andromeda, Panic). Nombre de motifs rythmiques et de clins d’oeil à la six-cordes, qui renvoient aux grandes heures du groupe, relancent eux aussi la machine — moins un recyclage qu’une célébration de ce qui fait la force du collectif depuis le début, à savoir un goût sûr pour les sonorités décapantes, annihilant tout soupçon de niaiserie. Sken resserre par exemple ces boulons-là en faisant alterner couplets en suspension et implacables kicks stroboscopiques sur son refrain, qui se dresse comme un pilier de fonte au milieu de l’usine à tubes — opaque, lourd, massif. Il ne reste plus qu’au contremaître Flegel de donner de la voix dans ce décor d’acier et de tôle ondulée, nappé de vapeurs synthétiques, et le cahier des charges est rempli. Ill At Ease ne réinvente pas la roue, certes. Mais quand celle-ci tourne à blinde, les étincelles continuent de fuser.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Focus, Bastards, Ill At Ease, Andromeda, Skem

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