15 Sep 22 Preoccupations – ‘Arrangements’
Album / Flemish Eye / 09.09.2022
Post punk
On ne connaît que trop bien le type d’accord et de son, à la fois dissonant, cristallin, électrique et enlevé, qui ouvre le nouvel album de Preoccupations. Peut-être, tout d’abord parce que ce n’est pas le premier voyage de ce type que nous offre la formation et que nous sommes désormais en terre conquise. Conquise par la guerre (sonique, en trois actes-disques) après l’abnégation (politique, dûe à un premier essai publié sous le nom trop encombrant et controversé de Viet Cong). Dix ans après sa fondation sur les cendres du groupe Women, les quatre canadiens livrent aujourd’hui un quatrième disque sombre et tourmenté, peut-être plus encore que les précédents.
Las d’illusions, conscient de vacuité de l’espèce humaine et de sa condition, le disque largue sans cesse des bombes musicales comme verbales, du ‘It was all over before it ever began’ agité tel un étendard dès le premier titre, à la terrible sentence finale ‘You’re your very own executioner’. Sur cet opus, les paroles gagnent alors en densité et en profondeur vis-à-vis des précédents albums pour atteindre des ambitions entre existentialisme et influences Bergsoniennes (‘We see what we pretend we can see […] We feel what we pretend we can feel’ ou, plus loin ‘I don’t believe that we’ll disappear if we can’t consistently prove we’re here’). Le monde qui prend forme alors sous la plume du chanteur et bassiste Matt Flegel est aride, terrible, sans concession ; certains le diront pessimiste, d’autres extra-lucide. Reste que décrire avec tant de justesse les ruines du monde et les affres de l’âme humaine n’est pas donné à tout le monde.
Continuant discrètement d’explorer des boucles machinales et de sobres textures industrielles qui ont fait sa renommée, Preoccupations semble ici leur donner de nouveaux espaces en forme d’interludes rêvés, menaçante colonne vertébrale ouvrant des brèches extatiques.
Et avec toujours cette force de frappe si caractéristique et ces rythmiques tribales signées Mike Wallace, sans oublier ces entrelacs de guitare lancés entre Scott Munro (à qui l’on doit une large part de la production du disque, peut-être la plus hallucinée) et Daniel Christensen, se répondant par accords interposés comme sur le bien nommé Ricochet. Mais c’est ici encore la basse rampante, sombre et ténébreuse de Matt Flegel qui structure et donne l’orientation de chaque morceau, de chaque transition, de chaque souffle mélodique. Une densité sonore choisie et assumée qui n’est pas sans rappeler l’ombre d’un géant : plus que celle de Joy Division, de This Heat ou de Sonic Youth, c’est bien l’ombre des Cure qui plane sur ce disque qu’on jurerait tiré des limbes de Pornography, avec ses arpèges glissants, ses climax suffocants, ses fondations toxiques. Mais à trop se frotter à ces pères de cœur, les canadiens n’y auraient-ils pas perdu un peu au change, se brûlant les ailes à grands coups de références post-punk 80’s ? N’oublions pas que l’ombre est ici plus présente que la lumière, et que l’on devine très vite à travers ce disque que le confinement n’a pas forcément fait de bien au mental des quatre garçons. Loin de la flamme et de la lumière que cherchait à raviver, suite à ces deux années particulièrement compliquées, le lyrisme du dernier album des géants canadiens d’Arcade Fire, c’est une voie bien différente qui s’ouvre ici, où la lumière n’a pas droit de cité.
Si un morceau comme Advisor ouvre une porte bien plus large et surprenante, avec ses cordes de synthèse et son rythme faussement dansant, il faut désormais aimer durablement la réverbération – un peu – et le chorus – beaucoup – pour aimer le son de Preoccupations. Mais qui s’en plaindrait, à une époque où les ados (re)découvrent Kate Bush par le biais de la série la plus populaire du moment ?
On peut toujours regretter le manque d’innovation au fil de la carrière du groupe, le relâchement de la promesse presque no wave de son premier disque et l’abandon d’une forme de radicalité pour des ambitions mélodiques plus marquées – et ce malgré le titre du redoutable et lancinant Death of Melody. Mais sa façon d’évoluer de façon plus transitive que véritablement disruptive mérite que l’on s’y arrête puisque, en parole comme en musique, Preoccupations n’a jamais aussi bien porté son nom.
A ECOUTER EN PRIORITE
Death of Melody, Advisor
Pas de commentaire