Noble Rot – ‘Heavenly Bodies, Repetition, Control’

Noble Rot – ‘Heavenly Bodies, Repetition, Control’

Album / Joyful Noise / 24.03.2023
Post punk electro

Avec Casting No Light, le premier single de Noble Rot, nos corps, instantanément, avaient été saisis de convulsions incontrôlables. Ce rythme irrésistible, rapide mais souple, cette basse minimaliste se greffant juste au bon moment, les voix hachées et les synthés s’intensifiant progressivement : cela était idéal pour danser bizarrement dans un couloir sombre percé de lumières intermittentes, et où émergeaient de l’obscurité des formes étranges nous susurrant des paroles énigmatiques. C’était trop beau et c’était vrai, mais aussi trop court.

On se doutait bien qu’en créant Noble Rot, Alex Edkins et Graham Walsh allaient générer quelque chose d’excitant et de troublant, et on ne pouvait s’empêcher d’imaginer un croisement monstrueux, terriblement violent et dansant, entre Metz et Holy Fuck. Et le voilà donc, le premier album du duo canadien, Heavenly Bodies, Repetition, Control. Ce qui frappe dans cet ovni sonore, c’est la liberté que s’octroient Edkins et Walsh, brisant le format traditionnel du morceau rock, s’affranchissant de l’obligation de faire danser selon certaines normes, mais sans pour autant détruire tous les ponts entre leurs créations et les attentes des auditeurs. L’oeuvre n’est certes pas facile, et elle malmène celles et ceux qui seraient habitué.e.s soit au noise, soit à l’électro rock, mais elle n’est pas que conceptuelle, abstraite et ardue, elle est aussi très sensible et efficace d’un point de vue rythmique et mélodique, et cela d’une manière immédiate.

Passée l’introduction qui mène à Casting No Light, il faut bien se rendre à l’évidence que l’on n’aura plus affaire à des morceaux aussi accrocheurs, vicieux et percutants. Heureusement, serait-on tenté de dire, car Noble Rot – cette ‘pourriture noble’ qui donne naissance aux vins de vendanges tardives – mûrit patiemment un projet plus ambitieux et novateur : celui d’une musique parcourant et décrivant le territoire d’un avenir possible. Heavenly Bodies, Repetition, Control s’étire dans l’espace comme une bande son d’un road movie laconique, mais fin observateur, explorant des lieux dépeuplés mais paradoxalement pleins de présences indéterminés que les sons s’efforceront de dessiner matériellement et mentalement. Ce que l’on entend provient le plus souvent d’instruments conventionnels – batterie, basse, guitare – mais découpés, retraités et recombinés artificiellement pour produire de nouveaux effets, intrigants et finalement signifiants. Il y a, ainsi ici un effet de distension : le caractère organique de la musique jouée initialement ne disparaît jamais vraiment lorsque les machines lui imposent sa mutation, ce qui nous ramène symboliquement aux rapports conflictuels que nos corps entretiennent quotidiennement avec leur environnement technique. Cette tension entre le naturel et l’artificiel apparaît principalement dans le travail sur le rythme, véritablement impressionnant : les sons de batterie sont tous ré-exploités par les ordinateurs de telle sorte à ce que leurs effets physiques soit monstrueusement décuplés et réorientés.

La démarche, décrite ainsi, peut paraître abstruse, mais elle n’en reste pas moins à l’écoute très intuitive. Les interludes instrumentaux, plus expérimentaux, cohabitent avec des morceaux qui, de l’ambient, dérive parfois vers des formules rappelant le Big Beat des années 90, mais sans l’aspect systématique qui caractérisait celui-ci, et qui finissait par le rendre épuisant. Médicine nous ramène tout droit au Dig Your Own Hole des Chemical Brothers, mais avec des respirations et des interrogations, tandis que le magnifique Light At The Edge Of The World, avec ses influences orientales, achève de nous faire accepter notre installation dans ce monde où la chair cohabite avec le métal des processeurs. Le voyage est assez court, 28 minutes, mais la richesse des impressions qu’il nous fait expérimenter s’imprime à même nos corps tout en éveillant notre réflexion à un constat : dans ce monde nouveau imaginé par Alex Hedkins et Graham Walsh, peuplé de bruits de grincements, de rouages grippés, ou de sons étirés symbolisant le vide de l’espace déserté par l’humain, la technique finit par épouser le rythme de la pulsation du vivant.

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Casting No Light, Medicine, Light at the Edge of the World


Pas de commentaire

Poster un commentaire