15 Juil 23 Night Beats – ‘RAJAN’
Album / Fuzz Club / 14.07.2023
Rock psychédélique
L’histoire ne se répète pas. Depuis Who Sold My Generation en 2016, Danny Lee Blackwell, qui pilote en solitaire les Night Beats, n’a eu de cesse de nuancer le son garage de ses débuts, en s’engouffrant avec un plaisir évident dans des genres assez différents les uns des autres mais dont l’âge d’or appartient à la même époque, les sixties : la soul avec Myth of a Man en 2019, la pop et le rock psyché avec l’excellent Outlaw R&B en 2021. Jusqu’ici, le texan d’origine privilégiait plutôt les morceaux courts, souvent nerveux, à l’efficacité mélodique indéniable. Respectueux en ce sens des canons de l’esthétique garage, Danny Lee Blackwell ne perdait pas de vue ses auditeurs, prêt à leur administrer, frontalement, un déluge de Fuzz soutenu par une rythmique solide et volontiers éruptive. Sur Rajan, le sixième album du groupe, ce n’est pas seulement les genres musicaux qui changent, mais également le format et l’écriture des morceaux. C’en est terminé des saisissants et saillants courts métrages en noir et blanc, place au long métrage flamboyant et exubérant, en technicolor et en cinémascope.
Rajan voit large, profond et coloré. Beaucoup des morceaux présentés ici s’étirent dans le temps en dessinant progressivement, par la juxtaposition des couches de sons variés, un espace que l’on n’aura jamais aussi peu hésité à qualifier de psychédélique. Blue, Nightmare, Anxious Mind ou Dusty Jungle sont typiques de cette approche véritablement panoramique, où les guitares résonnent de tous les côtés tandis que la voix recule, avance, se transforme en volutes colorées sur fond de rythmique souple et chaloupée. La mélodie, ici, ne fixe pas l’auditeur pour déterminer ses mouvements, elle le convie au délassement du corps pour qu’il s’abandonne à la rêverie. Il faut accepter de s’immerger dans ces environnements luxuriants où tout résonne et scintille en permanence autour de soi pour, après plusieurs écoutes, ressentir l’effet quasi-lysergique de cette musique, nous permettant alors de laisser vagabonder nos pensées. La pochette de l’album traduit bien cette nouvelle direction : abstraite, elle présente des motifs bleus-verts irréguliers sur fond noir, comme pour désigner la fréquence du son. On est loin des représentations photographiques ou peintes de Danny Lee Blackwell sur les pochettes antérieures, soulignant la dimension expressive de la musique proposée ; avec Rajan, on a affaire à une démarche plus impressionniste où le sens et la cohérence globale importent moins que la qualité et la diversité formelles des effets sonores produits.
De deux choses l’une, dans ce cas : si on apprécie cette version enluminée du psyché, on sera à la fête ; si on aimait des Night Beats la concision et la rugosité des sonorités garages, on sera évidemment un peu plus sceptique. Toutefois, remarquons que Danny Lee Blackwell ne fait pas que glisser dans cette version du psychédélisme qui le rapproche de Khruangbin ou, mieux, d’Abraxas, le groupe de psyché cumbia qu’il avait formé avec Carolina Faruolo, ex Los Bitchos. Il fraie également avec d’autres contrées musicales, ce qui donne une plaisante variété à son nouvel album : funk anatolien (1) particulièrement réussi avec Hot Ghee, Rythm & Blues avec Motion Picture, soul psyché avec Thank You (évoquant d’une manière assez nette le tube de Bobby Hebb, Sunny), blues avec Cautionary Tale, rock’n’roll mâtiné de country avec Morocco Blues.
Rajan, en définitive, s’avère parfait pour ces moments indéterminés de la journée, à l’aube ou au crépuscule, lorsqu’on oscille entre sommeil et réveil ou entre réveil et sommeil. Ces heures au cours desquelles notre imagination n’est pas encore contrainte par les exigences pragmatiques du réel et peut encore envisager avec délectation toute l’étendue des possibles.
A ECOUTER EN PRIORITE
Hot Ghee, Motion Picture, Anxious Mind, Dusty Jungle
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