Nick Wheeldon’s Demon Hosts – ‘Gift’

Nick Wheeldon’s Demon Hosts – ‘Gift’

Album / Le Pop Club / 04.11.2022
Indie folk rock

Il y a des disques dont la première écoute vous donne l’impression saisissante de les avoir toujours connus, tel un visage parmi tant d’autres aperçu au détour d’une ruelle, devenant familier sans jamais l’avoir vu auparavant. Gift, de Nick Wheeldon, provoquera en vous cet effet rare, précieux. Dans un monde parallèle, ce disque est déjà un classique immortalisé il y a deux, trois ou quatre décennies. Dans notre monde, il n’a été enregistré qu’en février 2021 – pendant dix heures seulement de prises live réalisées dans des conditions spartiates. Et il ne sort qu’aujourd’hui, près de vingt mois plus tard, alors que personne (ou du moins pas grand monde) ne l’attendait.

Nick n’est pourtant pas un parfait inconnu dans notre partie du multivers. Ce natif de Sheffield, installé à Paris depuis dix ans, a déjà mis ses oreilles, son âme, sa guitare ou sa voix émouvante – à la fois frêle et soyeuse, douce et intense – dans une impressionnante série de groupes ou projets allant du garage psyché au folk expérimental : The Jesus Loves Heroin Band, Os Noctàmbulos, Soucoupes Violentes, 39th And The Nortons… La liste est ici aussi longue qu’une page d’annuaire, chaque enregistrement servant de prétexte pour prendre la route du rock’n’roll virage après virage, surfant sur les canapés offerts par les complices de la scène underground de France et de Navarre – sans même parler de l’Angleterre natale. Le tout, loin, très loin des tartufferies d’une industrie musicale plus obnubilée par les plans com et les étiquettes facilement vendables que par la spontanéité des scènes locales ou la qualité des chansons qui s’y jouent. Nick s’est certes beaucoup amusé à parfaire son artisanat hétéroclite en dehors de toutes considérations ‘professionnelles’. Il a certainement dû se perdre parfois aussi. Mais ce que les neufs joyaux de Gift démontrent aujourd’hui, c’est qu’il a surtout énormément appris.

Neuf joyaux. Neuf chansons sidérantes de beauté qui ressemblent à leur auteur, à l’allure discrète au tout premier regard, mais brillant d’une surprenante flamme intérieure pour peu que l’on prenne la peine d’en creuser la surface ensuite. De l’ouverture gracile de I’ll Never Fall In Love Again au souffle ascendant de guitares et de voix sur I Am A Storm, de la douleur intense exprimée en conclusion de Fragile Minds à la supplique remplie d’espoir marquant le refrain de Paint The Town, Gift est un paradoxe sur pattes, une énigme. Comment un disque qui a autant de bouteille, avec ses références vintage puisant chez Gene Clark ou Alex Chilton, peut-il paraître aussi frais, direct et spontané ?

La clé pour dénouer ce paradoxe réside en partie dans l’impeccable synergie des musiciens que Wheeldon a rassemblé pour l’album, ces fameux ‘Demon Hosts’ qui accompagnent son nom pour cette aventure officiellement ‘solo’. Danny Kendrick et Marius Atherton, section rythmique opérant par ailleurs chez les Stratocastors, ont un sens inné du groove et de la finition quatre étoiles. La guitare de Paul Rannaud, de Volage, vient éclairer de son propre prisme le halo des accords joués par Nick, et rarement depuis Pavement des accordages à l’harmonie perfectible n’auront émotionnellement sonné aussi ‘justes’. Le piano ou l’orgue de Sebastien Adam, de The Bewitched Hands, apportent d’autres couleurs et lignes d’horizon essentielles. Les chœurs sont simples, limpides, mais amènent une puissance insoupçonnée. Vincent Hivert, producteur de la session, peut être fier de lui. Les basses vibrent avec chaleur, les claviers virevoltent, les guitares carillonnent comme à Noël. Qui pourrait croire ici que le groupe n’avait répété que quatre fois avant l’enregistrement ? Qui ?

Reste Nick, qui se place juste sous la ligne tracée par cette conjonction d’étoiles favorables, même si la chance n’a pas grand-chose à voir avec tout ça. Rien n’arrive vraiment par hasard. Quand on écrit des choses comme No One’s Never ou Tip Toe By Danger, on joue d’office dans la cour de Big Star ou Neutral Milk Hotel. Quand on écrit Hail On Thunder ou I Stole The Night, on fait mieux que ‘s’inspirer’ de Bob Dylan : on a projeté son esprit dans le sien pour en retirer quelques secrètes formules magiques, autrefois utilisées dans Subterranean Homesick Blues, Girl From The North Country, ou encore One Of Us Must Know. Les chansons d’amours contrariées chantées par Nick Wheeldon ont cette universalité-là : ‘We lost direction / Staring blindly into the light / As you took the day / And I stole the night’. Rien que pour ce refrain, Gift mérite de vous voler vos nuits, à vous aussi.

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