Nick Cave & Warren Ellis – ‘Carnage’

Album / AWAL / 25.02.2021
Art rock

San-Antonio et Bérurier, les crêpes de ma mère et la pâte à tartiner au chocolat, du picrate et une gueule de bois, Nick Cave et Warren Ellis… La vie est farcie de ces duos mythiques totalement intrinsèques au bon fonctionnement de l’humanité.

Cantonnés jusqu’à présent aux BO magistrales de films – The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, The Proposition, The Road pour en citer quelques-unes – Nick Cave et Warren Ellis signent Carnage, premier album du duo qui ne soit pas à classer parmi la catégorie soundtracks. Initialement teasé en janvier, les fans n’avaient aucune information à se mettre sous la dent, exception faite de Cave déclarant qu’il était ‘un disque brutal mais très beau, ancré dans une catastrophe communautaire’. Un mois plus tard, la sortie surprise de l’album prouve le bien-fondé de cette annonce. Mais pas forcément comme le voudraient ceux réclamant à cor et à cri de nouvelles expérimentations rock’n’roll cracra à la Grinderman.

La catastrophe communautaire étant évidemment cette pandémie avec laquelle nous vivons depuis plus d’un an. Claquemuré pendant le confinement obligatoire, le tandem de choc a pris une petite semaine pour composer de manière compulsive huit petits joyaux dans la lignée de Skeleton Tree et Ghosteen. Et le résultat ne manquera pas de faire à nouveau pester les réfractaires à la version épurée de Cave : trop larmoyant, trop chiantissime, pas de guitare larsénant à tout bout de champ. Pour les autres, Carnage finira probablement dans le haut du panier des claques de 2021.

L’imagerie mystique et mythologique imprègne la discographie du chanteur australien depuis les débuts des Bad Seeds. Après la disparition tragique de son fils Arthur, cette imagerie a pris une dimension poignante et poétique rarement égalée dans une production musicale. Entre nous, je n’aurai jamais confiance en une personne restant de marbre à l’écoute de Skeleton Tree. Ce nouvel album ne fait pas exception : l’amour, la mort, la souffrance, le salut et la furie se tiennent la main dans une danse viscérale que seule l’alchimie potente entre Cave et Ellis peut générer.

La piste introductive bien flippante Hand Of God rappelle l’électro de Suicide, avant l’arrivée agressive de violons et de chœurs dissonants capables de faire lever chaque poil disponible sur votre épiderme. Le même effet dévastateur se reproduit d’ailleurs sur le reposant et cristallin chorus du titre Carnage, soutenu par le tintillement de carillons d’un effet divin.

Et puis arrive la pièce de résistance, White Elephant. Nick Cave a un tel niveau d’exigence – ne soyons pas timide, utilisons aussi le terme génie naturel – qu’il arrive encore à proposer des compositions à ranger parmi les meilleures d’une carrière pourtant longue d’une quarantaine d’années. Explicitement politique, le morceau revisite les événements historiques du mouvement Black Lives Matter : ‘A protester kneels on the neck of a statue / The statue says, ‘I can’t breathe’ / The protester says now you know how it feels / And kicks it into the sea‘. En filigrane, une tension qui culmine lorsque Cave aboie : ‘If you ever think of coming ‘round here I’ll shoot you in the fucking face‘.

La seconde moitié de l’album met les bouchées double sur l’aspect ambient vaporeux. Plutôt malin quand on évoque les sujets de l’isolation et de la solitude. C’est sur cette deuxième partie que les arrangements minimalistes d’Ellis – parfois même à la limite du drone comme sur Shattered Ground – complètent à merveille la voix de Nick Cave. Quand on vous dit que ces deux-là sont de vrais âmes sœurs artistiques…

L’icône australienne est en fait un chanteur Gospel de vieux western. Inspiration vieux testament. Le cul, la violence et le sang sont ses éléments de prêche. Sur Carnage, le duo prouve qu’on peut faire beaucoup de dégâts sans forcément élever la voix ou martyriser les instruments typiques du bon gros rock’n’roll. Une énième réussite à mettre à son actif. Qui, assez sain d’esprit, pourrait encore en douter et revendiquer le contraire ? This morning is amazing and so are you, Nick and Warren.