Nick Cave & The Bad Seeds – ‘Wild God’

Nick Cave & The Bad Seeds – ‘Wild God’

Album / Pias / 30.08.2024
Rock

Libéré, délivré. Du deuil de ses fils, de ses idoles, de lui-même. À mi-chemin entre le Prince des Ténèbres et la Reine des Neiges, Nick Cave revient avec ses Bad Seeds pour un dix-huitième tour de piste, cinq ans après Ghosteen. Entre temps, il y a eu l’album et la tournée Carnage, une poignée de bandes originales de film (toujours en compagnie du fidèle Warren Ellis), une exposition événement à Copenhague et même une série de concerts intimistes accompagnés à la basse par Colin Greenwood de Radiohead. Mais il y a eu surtout la mort de son fils aîné, Jethro, sept ans seulement après celle d’un autre de ses enfants, Arthur. Un nouveau drame personnel voué à être érigé en tombeau, au sens figuratif comme musicologique du terme. Mais que dire, que faire, comment continuer après ces tragédies ? ‘Toi qui entre ici, abandonne tout espoir’ ? Ce serait mal connaître la force de résilience du sexagénaire.

En effet, dès Song Of The Lake, la magie opère. Celle de la musique, luxuriante et lumineuse – des adjectifs devenus, avec le temps, étrangement familiers de son œuvre. Mais surtout celle des mots de l’auteur-poète-interprète : conteur hors pair, Nick Cave sait enfermer dans une poignée de phrases et de paraboles bien senties tout un univers. Le sien mais aussi, quelque part, celui des autres. Car c’est à chaque fois un pan entier de l’histoire de la musique américaine, des icônes du passé et des mythes fondateurs que l’on visite à l’écoute de ses disques. Chant d’amour autant que d’abandon, de promesses autant que de rupture, ce morceau d’ouverture, éloquent, pose les attentes d’un disque immense… qui risque toutefois de décevoir. Que l’on se rassure : Nick Cave est toujours dans l’incapacité de nous livrer un album raté, contrairement à un Dylan ou un Springsteen. Mais ses recettes, certes fameuses, commencent elles aussi à être connues. Au fil des titres, une bien étrange impression se produit alors : celle de se promener dans des lieux déjà fréquentés, avec des images déjà vues… et une musique probablement aussi déjà entendue. Si les arrangements de cordes volontiers désuets ou l’emploi des chœurs féminins font un temps illusion, la présence de certains automatismes (le néo-gospel de As The Water Cover The Sea) et l’échec de tentatives plus audacieuses (O Wow O Wow (How Wonderful She Is)) refroidissent. La production, plus clinquante et soignée qu’à l’accoutumée, fait perdre elle aussi au crooner un peu de ses aspérités salvatrices pour tendre vers une forme de conformisme dont nous nous serions bien gardés.

Passer ainsi, en quelques décennies, de prêcheur terrifiant à celui d’archange transi d’amour et d’affection pour les foules en liesse – mais tout ceux qui ont un jour assisté à l’une de ces Grands Messes savent ô combien il est impossible d’y résister – laisse forcément des traces. En témoigne cet album peut-être un peu trop propre sur lui, conscient de ses qualités mais beaucoup moins de ses défauts. Comment ne pas avoir l’impression, par exemple, de ré-entendre certains sommets de Skeleton Tree ou Ghosteen sur Final Rescue Attempt ou Conversion. Synthèses – et donc quelque part redites – qui ne s’incarnent plus simplement comme des odes à l’art de la love song mais plutôt comme une forme d’auto-citation dispensable. À trop chercher à provoquer ces moments de grâce dont il est coutumier, l’australien s’éloigne quelque peu de la sincérité et de la spontanéité qui le caractérisaient. Difficile alors de séparer l’unité de la redondance (la touche mélancolique cuivrée de Joy et Cinnamon Horses) quand même une ballade plus traditionnelle (Long Long Night) ne fait plus mouche. Sans parler des circonvolutions synthétiques qui, derrière leur recherche de l’épure et de l’éther, finissent sérieusement par lasser.

Et pourtant, la magie opère. Pourquoi ? Parce qu’après tout, quand on est magicien, on le reste toute sa vie. Et ce même lorsque l’on rate un tour ou deux. Le prestige peut-être. Ou juste la magie des mots et de la musique, ce qui n’est déjà pas donné à tout le monde. Une forme de continuité qui s’inscrit dans le refus d’une réelle rupture avec ses disques précédents, loin de ce que laissait présager le savant teasing orchestré depuis des mois, en totale opposition avec celui de Ghosteen, annoncé lui dans la surprise générale via ses Red Hand Files moins de deux semaines avant sa sortie. Attendu comme le messie, avec ses concerts désormais donnés dans des salles inhumaines à des prix prohibitifs, le roi joue, décide. Et perd parfois. Il faut en effet avoir la foi pour aimer le prêcheur australien aujourd’hui sans avoir l’impression d’être pris pour une vache à lait. Mais nous aurions eu tort pourtant, une fois encore, de ne pas le suivre tel un apôtre, ne serait-ce que pour ses paroles, prophétiques et expiatrices. Tournées ainsi vers le réel ou bien la sphère du fantastique, les mots et la voix domptent et dominent tout. Impossible de rester de marbre lorsqu’il convoque les morts à travers le spectre de ses ‘children in the heavens’ dans Frogs, se réveillant avec la sensation ‘like someone in my family was dead’ avant de trouver, quelques vers plus loin, ‘this flaming boy’ assis sur le lit étroit de Joy. Questionnant encore son rapport à la foi, moins agnostique et plus new born que jamais, Cave en profite même pour livrer un étrange hommage à la regrettée Anita Lane, disparue en 2021, archives sonores et auto-tune à l’appui. Hymne naïf mais touchant, naviguant aux frontières du ridicule mais jamais totalement abscons, O Wow O Wow (How Wonderful She Is) montre que ce Wild God reste toujours, quoiqu’il arrive, fait avant tout avec le cœur. ‘And the wild god says it starts with the heart, with the heart, with the heart’. Libéré, délivré. De ses idoles, peut-être d’une part de deuil. Mais certainement pas de lui-même.

ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Song Of The Lake, Wild God, Conversion, Cinnamon Horses

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