06 Sep 24 Molchat Doma – ‘Belaya Polosa’
Album / Sacred Bones / 06.09.2024
Post punk – Cold wave
L’hôtel Ryugyang, le monument à la fondation du Parti en Corée du Nord représentant la faucille, le marteau et un pinceau de calligraphie, l’hôtel Panorama en Slovaquie, ou dernièrement The Palace of Water and Light de l’architecte Pier Luigi Nervi (qui ne verra jamais le jour)… Autant de bâtiments issus du mouvement architectural brutaliste, agrémentant les pochettes de Molchat Doma (Les maisons silencieuses, ndlr). Le brutalisme fait partie de ces styles architecturaux immédiatement reconnaissables dont l’apparence et la composition sont simples : une utilisation massive des blocs de béton brut d’où il tire son nom, en général empilés les uns sur les autres. Le caractère futuriste des monolithes brutalistes les rend difficiles à ignorer. Comment rester indifférent face à ces monstres goinfrés de mortiers et de graviers ? Robuste, austère, froid, rugueux sont les adjectifs qui reviennent le plus souvent pour ce mouvement. Sans doute les mêmes que nous pourrions utiliser pour la musique de Molchat Doma.
Le trio biélorusse – composé de Egor Shkutko (chant), Roman Komogortsev (guitare, synthé, boîte à rythme) et Pavel Kozlov (synthé et basse) – s’est formé en 2017 à Minsk. Sa musique fusionne des éléments de post-punk, de cold wave, et de synth-pop, évoquant l’esthétique sonore des années 80. Les mélodies sombres et mélancoliques sont portées par des synthétiseurs rétro et des guitares remplies de reverb’, créant une ambiance à la fois nostalgique et froide. Les paroles, chantées en russe, et les titres écrits en cyrillique, explorent souvent des thèmes de solitude, d’aliénation et de dystopie. Au fil des années, le groupe est devenu emblématique de la nouvelle vague post-soviétique, attirant un public international grâce à l’atmosphère unique de sa musique, à la fois hypnotique et introspective. Molchat Doma est même devenu viral sur les réseaux sociaux à la suite de vidéos TikTok reprenant sa chanson Sudno dont les paroles ont été adaptées du poème Bassin de lit émaillé du poète russe au destin tragique, Boris Ryji. Et des playlists entières de Russian Doomer Music (pour les adeptes de la collapsologie) pullulent sur la toile et, où dans chacune d’elles, nous retrouvons entre autres, des titres des trois Minskois.
Après S Krysh Naskikh Domov (2017), Etazhi (2018) et Monument (2020), les trois camarades déboulent avec Belaya Polosa (Bande Blanche, ndlr) et s’engagent dans un virage sonore, s’extirpant du son crasseux des bas-fonds de l’underground ex social communisme en allant chercher un autre plus new wave, moins minimaliste et parfois proche de la musique électronique industrielle des années 90, à l’instar du titre d’ouverture Ty Zhe Ne Znaesh’ Kto Ya (You Don’t know Who I am), voire un peu plus expérimentale à la manière des allemands de Kraftwerk où l’humain se mêle à la machine sur Kolesom (By The Wheel). La voix spectrale de Egor nous entraîne tout au long de Chernye Tsvety (Black Flowers) dans une douce balade lugubre et funèbre qui ravive en nous le fait que nous sommes tous mortels (Now it is time to dig your own grave, it is clear that I will die). Molchat Doma flirte avec des fantômes d’un autre temps, comme si des âmes errantes cherchaient à se libérer, à retrouver la paix pour partir vers d’autres cieux. Voici le sentiment qui s’empare de nous en écoutant l’unique morceau instrumental, joué sur un piano éploré, Beznadezhnyy Waltz (Hopeless Waltz). Lors d’une interview, la question suivante a été posée : ‘Pourquoi les années 80 sont autant une source d’inspiration ?‘ La réponse fut la suivante : ‘Parce que c’est l’époque de la mélodie. Toute la musique des années 80 est basée sur une belle mélodie, mémorable et accrocheuse‘. Et c’est en effet cette notion de mélodie entêtante, qui nous fait danser ou remuer la tête de haut en bas, que nous retrouvons, et ce malgré des textes sombres sur Ya Tak Utsal (I Am So Tired), Belaya Polosa qui nous rappelle la bande à Dave Gahan, III mais aussi avec Son (Dream), morceau onirique rempli de chimères.
Etrangement, l’introduction de Ne Vdvoem (Not Together) est vaporeuse, des chérubins diaphanes semblent descendre du ciel, puis le chant plaintif se confond dans nos souvenirs avec celui de Morrissey. Enfin, les membres de Molchat Doma, exilés depuis quelque temps à Los Angeles, clôturent l’album avec un hymne à la ville qui les as vu grandir, Minsk, avec Zimnyaya (Winter song). L’hiver qui symbolise le calme, l’obscurité et une fin de cycle. Avec ce quatrième effort, le trio réussit à tracer une nouvelle voie, entre la rupture et la continuité, et continue de fusionner le passé et le présent pour créer une musique intemporelle. En explorant des sons nouveaux tout en restant fidèles à ses racines post-soviétiques, les biélorusses réussissent à maintenir leur identité tout en évoluant vers des horizons sonores plus larges. Ce quatrième album marque une nouvelle étape dans leur parcours, un équilibre entre nostalgie et innovation qui ravira les fans de la première heure tout en attirant une nouvelle audience. En somme, Molchat Doma prouve une fois de plus que la mélancolie peut être dansante et que les ombres du passé peuvent éclairer le chemin vers l’avenir. Maladiéts ! (Bien joué)
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