19 Fév 21 Mogwai – ‘As The Love Continues’
Album / Rock Action – Temporary Residence / 19.02.2021
Post rock
25 ans. Un quart de siècle, une discographie impeccable, et une identité harmonique qui compte parmi les plus fortes que l’histoire de la musique ait jamais comptées. Qui pourrait dire aujourd’hui que la réputation de Mogwai, acte fondateur et pierre angulaire du post-rock, est usurpée ? Un titre des écossais se reconnait entre mille. Il portera en lui une familiarité qui coule de source, une sorte d’évidence musicale qui en fera une petite cathédrale de verre ou d’acier, laissant passer une lumière qui ne ressemble à aucune autre. Et cette lumière viendra illuminer, ici de larges et intimidantes colonnes de bruit blanc, ailleurs de subtils entrelacs électroniques, créant un halo où riffs cinglants et boucles hypnotiques s’exposeront comme autant de reliques sacrées. De l’épure au souffle épique, de l’intime à la combustion stellaire, des noms de chansons complètement absurdes aux émotions les plus viscérales, c’est toute une palette de couleurs, de formes et de concepts que les écossais ont appris a maîtriser au fur et à mesure des années. Mais tous ces agencements complexes, cette architecture, ne sont en définitive au service que d’une seule idée, à la fois naïve et follement ambitieuse : tracer une ligne claire, toujours.
As The Love Continues, quelque part entre Happy Songs for Happy People et Hardcore Will Never Die, But You Will, ne déroge pas à la règle. Il démarre d’ailleurs par une ouverture magistrale en mode majeur qui n’a rien à envier à celles des albums cités ici—sans même penser aux premières minutes de Mr. Beast, ou celles du séminal Young Team. To The Bin My Friend, Tonight We Vacate Earth installe d’abord sa mélodie principale mezzo voce, puis la répète avec une amplitude soudaine, attendue mais surprenante par sa puissance, avec un véritable miracle d’équilibre et de précision dans le mix. La seconde offrande, l’assez torturé Here We, Here We, Here We Go, se charge elle de défricher quelques territoires inconnus, comme dans la plupart des opus du groupe. Barry Burns, Stuart Braithwaite et leurs petits camarades ont régulièrement utilisé des voix vocodées depuis Happy Songs For Happy People, mais jamais au point de faire sonner leurs compos comme du Oneohtrix Point Never. C’est chose faite ici. Après ces triturages expérimentaux, l’auditeur accueille donc avec une certaine gratitude le doublé de premiers singles extraits de l’album, le quasi AMSR Dry Fantasy, proche des rêveries orientales d’Auto-Rock sur Mr. Beast (il semblerait que Burns aime toujours autant laisser traîner ses doigts sur les touches noires d’un clavier), suivi de Ritchie Sacramento, hymne très indie-pop dans l’âme. A la première écoute de ces extraits, on avoue avoir craint que Mogwai ne se soit un peu laissé guider par une certaine facilité d’écriture ici, qui plus est porté par un mixage relativement passe-partout (peut-être entrainé par la production en ‘distanciel’ de Dave Fridmann en ces temps de Covid). On s’est même finalement demandé si les héros indés d’antan ne chercheraient pas à devenir encore un peu plus ‘mainstream’ aujourd’hui…
Dans le contexte du disque, nos doutes sont immédiatement levés, vu que ce couloir s’avère de fait idéal pour mener aux véritables plats de résistance du LP… D’abord le sec et hypnotique Drive The Nail, qui, comme son nom l’indique, enfonce le même clou rouillé à coup de noires frénétiques sur les six cordes. Puis, l’extase tranquille de Fuck Off Money, vocoder à nouveau placé en première ligne et grandes manœuvres cinématiques derrière, qui expliquent à elles seules pourquoi nombre de réalisateurs s’arrachent les talents du groupe pour la création de leurs B.O. Ensuite, c’est l’idiome très rock de San Pedro qui est repris avec Ceiling Granny, certes plus lancinant que son modèle—mais plus joyeux, jouissif et entraînant, aussi—avant que le victorieux Midnight Flit, arrangé par Atticus Ross, ne rebatte complètement les cartes, entre synth wave eighties et intrusion inopinée d’un orchestre de cordes virevoltantes et affolées, telles une nuée de papillons de nuit en pleine déroute.
Mais le meilleur est à venir. Succession de mesures à 4 et 5 temps, pickings de guitare en contretemps, notes éthérées de piano en suspension, alternance d’harmonies majeures et mineures, volutes de sax alto en arrière-plan déployées par le grand Colin Stetson lui-même … Pat Stains n’a pas encore atteint son logique crescendo final que son ambiance claire-obscure nous fascine déjà. Et au-delà de cette mystérieuse transe comme seul Mogwai sait en écrire, se nichent deux derniers joyaux. Supposedly, We Were Nightmares, après tant d’années, creuse la veine bondissante découverte avec The Sun Smells Too Loud sur The Hawk Is Howling. A l’inverse, It’s What I Want To Do, Mum met en avant un thème de guitare mélancolique, doublé par un clavier, simple en apparence, mais de plus en plus retors au fil des écoutes. Dans ce générique de fin, on croit flotter au-dessus des rues vides et nocturnes d’une ville à l’abandon, où finissent par apparaitre les fantômes du passé. Parmi ces spectres, au moment de la dernière déflagration du disque, il y a ce larsen intempestif, régulier mais étranglé, comme au temps de Like Herod. Ce n’est sans doute pas un hasard. La ligne claire et directe de Mogwai ne traverse ainsi pas seulement leurs morceaux ou la durée de leurs albums. Elle relie leur œuvre toute entière dans un éternel retour qui n’est jamais une simple redite. Plutôt un éternel recommencement.
A ECOUTER EN PRIORITE
To The Bin My Friend, Tonight We Vacate Earth, Dry Fantasy, Drive The Nail, Fuck Off Money, Ceiling Granny, Midnight Flit, Pat Stains, It’s What I Want To Do, Mum
Richard M
Posté à 15:37h, 29 marsIl fut un temps où Mogwaï me parlait.
Ce n’est plus le cas.
Tout me semble fade et sans intérêt. Comme si leur musique s’était appauvrie.