01 Oct 24 MJ Lenderman – ‘Manning Fireworks’
Album / Anti / 06.09.2024
Americana folk
Sur le forum de discussion interne à la rédaction de Mowno, les nano-critiques fusent au gré des sorties, en guise de premières impressions lâchées à chaud, selon les humeurs des chroniqueurs, comme une manière de sonder les avis de chacun. Ainsi, ce message (initialement intégralement en majuscule) au sujet de Manning Fireworks, un lundi de septembre en fin de soirée : ‘Bon ça y est, je suis amoureux de MJ Lenderman, best musique pour rentrer beurré d’un concert hardcore en crevant la dalle‘. En quelques phrases, le chroniqueur mettait le doigt sur le flux de tension qui traverse de part en part le nouvel opus de la coqueluche Americana de ces dernières années. Tension dont les points névralgiques seraient noués autour du sentiment amoureux, de l’état d’ivresse et, conclusion de cette trinité, de cette sensation qui nous tiraille le bide.
L’état d’ivresse, ou le rapport à l’alcool, semble être l’un des fils rouges de l’écriture de MJ Lenderman dont la carrière solo a décollé peu après la sortie du single Hangover Game (Boat Songs, 2022), soit après deux albums plus confidentiels voire expérimentaux. Quelques extraits de la prose du livret de Manning Fireworks laissent supposer que Mark Jacob continue à snobber les Alcooliques Anonymes, contrairement à pas mal de ses collègues au sein du label Anti : sur Joker Lips, il fait rimer les shooters de Kahlua et la conduite en état d’ivresse (‘Kahlua Shooter – DUA Scooter‘) ; sur Rip Torn, il y va d’une formule lapidaire : ‘You need to drink some water, It will kill the need to puke‘. Le narratif est ici titubant, en lendemain de cuite, et nous conte les nuits enfermées chez soi à jouer du Ozzy Osbourne sur Guitar Hero plutôt qu’à faire quelque chose de constructif (Bark At The Moon). Les feux d’artifice du titre sont donc à chercher non dans le décor, peu enclin aux explosions, mais dans les tripes de leur auteur.
Car le guitariste et choriste de Wednesday, en dépit de textes flirtant avec sa désinvolture et ses airs de slacker, n’en reste pas moins habité.’ Some have passion, Some have purpose‘ assène t-il dès le titre inaugural qui place d’emblée Lenderman du côté des passionnés qui ne savent pas où ils vont… En apparence tout du moins. Les routes qu’il arpente ici ont beau être choisies au feeling, à l’impulsion, au gré des ruptures amoureuses, elles ont toutes un même cadrage, assez précis : celui du style, de cette folk americana qui nous éloigne des distorsions du précédent opus. Comme si sa collaboration – brillante au demeurant – avec Waxahatchee en début d’année, l’avait poussé à s’éloigner du côté crade et DIY de ses productions antérieures pour se tourner vers quelque chose de plus harmonieux. De Joker Lips au merveilleux She’s Leaving You, il y a indéniablement des fulgurances sur Manning Fireworks mais, à le comparer à ses prédécesseurs, on y décèle aussi quelque chose de plus attendu. La fin d’album, nettement en dessous de son introduction, flirte parfois avec le calibrage.
La trajectoire de MJ Lenderman à un air de ressemblance avec celle de Bill Callahan. Les deux ont été, à des époques différentes, des coqueluches de l’indie ; ont peu à peu donné davantage d’importance à la clarté de leurs productions, partant d’albums quasi expérimentaux enregistrés dans des piaules (qu’on imagines chaotiques et insalubres), pour aboutir à des opus aux arrangements et aux sonorités typiquement américaines, évoquant les grands espaces et s’ancrant dans une tradition musicale séculaire. En d’autres termes, ils ont progressivement troqué leur côté punk au profit d’un projet plus léché. Callahan a réussi à ne jamais sombrer dans l’artificiel. Lenderman semble tenir le coup également, et continue à proposer une musique habitée, notamment portée par des textes hors-pair, en dépit d’une baisse d’inventivité dans l’enchainement des compositions ou en matière d’arrangements.
Ne nous y trompons pas : Manning Fireworks reste un des plus beaux albums folk de la rentrée. Seulement, la créativité qui faisait la qualité de l’étincelant Boat Songs – comme son côté touche à tout, foutraque et sans frontières esthétiques – s’estompe quelque peu ici. En espérant qu’à l’avenir encore, le titre de l’album et ses références aux feux d’artifice attisent la flamme plus que l’artificialité, histoire de ne pas en faire un simple amour de passage à trois grammes, à crever la dalle.
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