Milk TV – ‘Neo Geo’

Album / Exag / 13.10.2023
Post punk

À force d’ériger au rang de chef-d’œuvre chaque sortie d’album, on en perd d’avance le plaisir, et l’accoutumance – qui pourrait en résulter – ne serait justifiable que par un effet de mode. Première défonce instantanée en 35 minutes chrono, Milk TV est en quelque sorte l’ovni qui s’attarde à rester dans le champ de vision d’un télescope. Run to Buy Vacuum, premier extrait, annonçait déjà les intentions du trio Belge. Et là où certaines formations ont au démarrage, du plomb dans l’aile, le groupe monte direct sur le ring et assène ses uppercuts.

Ainsi, Neo Geo démarre aussi sec qu’un pétard dont la mèche est abrégée, avec Patient Boy dont les guitares filandreuses mêlées à de soudaines saillies bruitistes, s’intensifie pour atteindre une déflagration orgastique que 604NC8 vient momentanément modérer.  Avec son introduction qui n’est pas sans rappeler les bizarreries vocales du groupe Dull Schicksal ou plus récemment les accélérations rythmiques des Crackups, le deuxième titre groove à mort, Milk TV s’engouffre dans l’art subtil du contre-pied, et s’autorise toutes les sorties de route. 

Le groupe pratique un Art-Rock dont les expérimentations dégomment toutes les références réduites à un style musical, évitant les bis repetita là où le punk noise s’est depuis peu empêtré. Plutôt que de tourner en rond, les belges connaissent la frustration de ceux qui savent le plaisir minuté. Saveurs vitriolées et panaches de cartouches savamment parfumées, Fields Of Neighborly Love suprend par ses incartades, la voix de Matthieu Pyraud évoque Devo, les Talking Heads. Le cynisme punk du précédent album Good Food For Mean Kids est ici amplifié en une espèce de chevauchée folle sous LSD. Le titre Marathon Man condense à lui seul, toute la panoplie des extravagances que Milk Tv est capable de produire de manière cohérente.

Neo Geo est une cartographie sonore dans son extension la plus large, aux références graphiques inspirées de Victor Vasarely tant diverses figures géométriques provoquent des effets optiques et transmettent le mouvement. Des formes, des plans et des perspectives ambigus en totale adéquation avec les compositions. Chaque titre semble être la déformation pertinente du morceau suivant. Ce morphisme musical où chaque accord est déformé, reconstitué et détruit, répond à l’exigence de se saisir du réel, non pas pour le conceptualiser mais pour en dénoncer les absurdités. Dans l’imaginaire collectif, on a tendance à réduire un objet à une seule fonction. Dans un autre univers, celui de Milk TV, le génie consiste à régénérer la musique, dans un nihilisme proche de l’esprit Punk tout en s’en éloignant par une modernité transgressive. Et pour venir chatouiller votre culture musicale, si on devait se piver au quotidien d’un tel disque, nous nous surprendrions à nous entendre dire avec ironie : No milk today.