
28 Oct 22 Miët – ‘Ausländer’
Album / Ici d’Ailleurs / 21.10.2022
Rock alternatif
Reposant sur des alliages tantôt abondants tantôt décharnés, le deuxième album de MIËT attise dès les premières minutes la curiosité de l’auditeur par une proposition marquée à la fois par sa singularité et sa grande diversité. Quelque part entre dream pop magnétique, rock indus synthétique et shoegaze psychédélique, Suzy LeVoid a le sens de l’apparat sonore, des textures hybrides et des mutations sophistiquées.
Guidé par la voix sublime de la femme-orchestre, Aüslander semble bâti comme un disque-monde et aborde, contrairement à son prédécesseur (Stumbling, Climbing, Nesting paru en 2019) d’étonnants territoires pop avec un discours musical souvent fragmenté, disparate et diaphane mais jamais – ne serait-ce que le temps d’une seconde – opportuniste ou incohérent. Et c’est peut-être là son véritable tour de force, cette capacité à concilier des influences et univers variés sans jamais céder à la complaisance ou à la facilité. Si elle troque ici bien souvent sa basse fétiche pour asseoir un dédale de guitares électriques et de synthétiseurs, rien n’est vain ou purement fortuit, puisque c’est dans sa science même du détail que s’affine peu à peu son univers solitaire (par les moyens) et pourtant multiple (par la pensée).
Que ce soit par le biais de morceaux épiques (Ones, Did We Ever, Always That Same Painting), de pistes hantées (Not The End, Sleeping Dog, UNBEKNOWNST) ou de délicats et inquiétants interludes instrumentaux (The One That Kills, The One That Loves), la menace n’est jamais bien loin. Et ce à l’image de l’incantation salvatrice du troublant I Belong To The Dead ou du bouleversant The Path, où l’artiste semble marcher sur les pas (sans jeux de mots) des mythiques Portishead ou du premier Goldfrapp. Car derrière les couches sonores et les artefacts structurels se cache en réalité une étonnante fragilité, constante mais jamais réellement percée à jour, savamment dissimulée dans les paroles ou délivrée au premier plan en de rares instants, toujours discrets mais redoutablement efficaces. La mélancolie qui s’en dégage alors infuse sur tous les niveaux, dans les mots comme les références; difficile en effet, par exemple, de ne pas penser au Atrocity Exhibition de Joy Division (‘This is the way, step inside’) dans un morceau comme Always That Same Painting durant lequel est martelé un ‘Open the door, step inside’ forcément évocateur. Des miroirs qui reflètent un conflit intérieur où se dévoilent des oppositions souvent radicales, tiraillées au fil du disque entre de douces nappes synthétiques et d’implacables rythmiques tribales, aussi chamaniques que véritablement apocalyptiques.
Si la densité sonore et la mécanique savante des agencements entre les différents timbres, mouvements et multiples jeux de connivence participe grandement à la réussite de ce disque, nous aurions aussi tort de ne pas y voir le témoignage d’une belle trajectoire en devenir. Des glissandi vocaux en guise de signatures de plus en plus affirmées, à la porosité des frontières entre les différents styles et genres musicaux revendiquée dans ces dix titres, rien ne semble être laissé au hasard dans la musique kaléidoscopique de Suzy LeVoid. Mixé par le prodigieux David Chalmin et mis en image par Harry Hadler, ce disque bénéficie de l’écrin qu’il mérite et qui, contrairement à l’induction de son titre allemand, pourrait raviver en notre mémoire ces quelques vers tirés du poème ‘Toi-moi’ d’André Chédid : ‘Par les mots qui s’engendrent / Par cette parole étranglée / Par l’avant-scène du présent / Par vents d’éternité […] / Qui que tu sois ! / Je te suis bien plus proche qu’étranger’. Un épigraphe qui siérait tout à fait à ce bel ouvrage que constitue ce disque parfois étrange mais qui pourrait bien vite nous devenir aussi essentiel que familier.
A ECOUTER EN PRIORITE
Ones, Did We Ever, The Path
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