Meule – ‘Beau Red’

Meule – ‘Beau Red’

EP / Figures Libres – Luik / 21.04.2023
Kraut-electro-garage

L’impression d’abattement nous gagne parfois lorsque nous nous mettons à prendre conscience, de manière trop poussée et trop lucide, de l’époque dans laquelle nous vivons. Pourtant, celle qui enfante d’un trio constitué de deux batteurs et d’un guitariste qui se trouve également être un manipulateur expert de synthétiseurs modulaires – ce truc stupéfiant bourré de fils de toutes les couleurs, dont il faut triturer les innombrables boutons pour produire des sons hors d’âge, ni tout à fait actuels, ni tout à fait vintage – peut-elle être aussi foutue qu’on le dit ? Trois jeunes gens qui utilisent une combinaison aussi singulière d’instruments, d’où viennent-ils, et par quel miracle ont-ils pu accoucher d’une musique aussi inattendue et qui, autre miracle, fait danser ? Que celles et ceux qui pensent que l’accès illimité à toute la musique ne produit que des consommateurs décérébrés révisent leur jugement. Meule, puisque c’est de cette formation originaire de Tours dont il s’agit, est le pur produit de son temps, mais également le signe que celui-ci a encore le goût de la métamorphose, de l’imprévu, des fusions aussi osées que pertinentes. De quoi, donc, espérer en l’avenir.

Voici donc Meule avec Beau Red, sa nouvelle création. Utiliser ce dernier terme est ici particulièrement indiqué, tant l’impression d’originalité, à l’écoute, est vive. Si le premier album, sorti en 2021, misait beaucoup sur l’efficacité des batteries, à laquelle se pliaient les expérimentations électroniques, ce second EP détonne par son goût prononcé pour les tensions entre aventures synthétiques et convulsions rythmiques, comme le montre le formidable voyage entrepris par No Couchettes part 1 & 2 qui, d’un environnement initialement froid et intriguant nous mène vers des lieux habitables, où les corps se libèrent et retrouvent leur pulsatilité. L’audace est donc là, mais sans perdre l’immédiateté des effets, ce qui met parfaitement en valeur le plaisir de jouer des trois musiciens. Les constructions complexes et ambitieuses sont d’inspiration Krautrock tendance Kosmiche Musik avec, à nouveau et régulièrement, cette forme de bonne humeur insouciante propre à la scène Garage mais s’exprimant, ici, avec plus de mesure pour mieux faire ressortir l’émouvante intelligence du projet. Ainsi, si certains sons hypnotisent et nous mènent au cœur d’univers sonores plus abstraits, l’engagement physique reprend toujours au moment opportun, créant une oscillation permanente entre contemplation et scansion. Ce déchirement interne au cœur de la musique rompt avec l’impression d’homogénéité du premier album : là où celui-ci arrachait la conviction de l’auditeur par l’intensité physique de la performance, Beau Red s’adresse à celui-ci de façon plus nuancée, en orientant son attention, par des notes électroniques et hypnotiques, vers un paysage intérieur oublié – à moins qu’il ne s’agisse d’une préfiguration de son futur – pour, l’instant d’après, le tirer dans le sens opposé, vers un déchaînement du corps opéré par l’énergie et le groove imparable des batteurs. L’inverse, d’ailleurs, est également vrai, en atteste Vacuum qui surprend par son démarrage agressif, et étonne encore plus en nous faisant glisser dans une effervescence de sonorités électroniques propres à libérer nos imaginations en même temps que nos mouvements.

Meule, donc, raffine et enrichit son propos, tout en conservant sa puissance percussive. On pourrait parler de psychédélisme, et l’influence de King Gizzard a parfois été soulignée (et se révèle bien à la fin de Beau Red Part 2), mais ce serait peut-être faire fausse route : il y a une démarche quasi scientifique dans la manière d’agir sur le psychisme chez Meule – qui lui vient de cet usage singulier du synthétiseur modulaire – que l’on ne trouve pas chez les australiens, lesquels semblent plutôt se laisser davantage aller à l’inspiration du moment. Les tourangeaux donnent l’impression de savoir exactement et précisément où ils veulent aller et, si l’on ne doute pas qu’il y ait dans le processus créatif une forme d’expérimentation intégrant une marge d’improvisation, la maîtrise instrumentale ainsi que l’aspect méthodique du traitement du son ne laisse jamais penser qu’une subjectivité délirante s’y exprime. Grâce aux modulations électroniques de ses sons, le trio paraît en fait dessiner une carte mentale du monde extérieur, tout en nous apprenant, par l’efficacité et l’inventivité constante de sa rythmique, à nous y mouvoir avec lucidité et légèreté. N’est-ce pas de cela, au fond, dont l’époque à besoin : savoir danser avec la pleine conscience de soi et du monde qui nous entoure ?

VIDEO
ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
No Couchettes part 1 & 2, Vacuum


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