
12 Avr 24 Metz – ‘Up On Gravity Hill’
Album / Sub Pop / 12.04.2024
Noise rock
Au bout du bout. L’écoute de Metz, jusqu’à présent, a toujours constitué une épreuve de force. L’acharnement à aller jusqu’à l’épuisement des sentiments de colère, de frustration, d’angoisse relevait d’une méthode singulière pour se libérer de ceux-ci. Peu de groupes suivent une telle route. Cette capacité du trio canadien à se confronter avec autant d’insistance à tout ce qui nous agresse dans nos vies et, même plus, à s’y plonger pour le déminer de l’intérieur, force le respect. La musique de Metz, il faut bien le dire, est littéralement épuisante : la folie rythmique, les riffs donnant l’impression de s’échapper d’une usine métallurgique à plein régime, les hurlements en continu d’Alex Edkins abordant finalement les limites de l’humain, font que l’on est maintenu dans un état de stress qui, en s’entretenant d’une manière totalement déraisonnable, finit par s’épuiser et se désagréger. On pourrait penser qu’il y a là une véritable catharsis, sauf qu’il y a bien trop de conscience et surtout de volonté chez Metz pour que ce soit simplement le cas. Chaque album du groupe signale en ce sens cet effort d’imposer à tout ce qui nous diminue au quotidien notre volonté propre, et ainsi, au sein même de l’agression, de découvrir une capacité de résistance qui, à force de persévérance, finit par se transformer en une véritable forme d’action.
Up On Gravity Hill, d’une certaine manière, prolonge ce rapport au monde. La section rythmique est toujours aussi frénétique et la guitare régulièrement psychotique dans sa manière de lacérer violemment l’espace sonore. Mais les trois premiers singles extraits nous y avaient préparé, le groupe effectue ici une mue le conduisant vers une direction musicale nettement plus mélodique qui laisse s’épanouir des climats plus atmosphériques. Les morceaux prennent leur temps pour s’épandre dans toutes les directions afin d’y dessiner de nouveaux lieux à habiter, et dans lesquels s’intégreront des émotions nouvelles comme l’amour et la tendresse, tempérant ainsi la familiarité qu’entretient Metz avec les différentes formes de l’angoisse. Dans un premier temps, cela donne une impression de normalisation du groupe, car ce qui faisait toute la valeur de sa musique jusque là, à savoir ce sens de l’épreuve à l’écoute de chaque album, ne se retrouve plus ici avec la même intensité. Mais, si l’expérience est moins instantanée dans les réactions physiques qu’elle suscite, elle acquiert finalement une tout autre valeur en stimulant l’imagination et la réflexion. Metz ne terrasse certes plus l’auditeur, mais il le relève – sans ménagement, on ne se refait pas – et l’oblige à regarder plus en avant. Alex Edkins chante encore comme s’il était toujours au bord de l’extinction de voix, mais on le sent – vraiment- ouvrir plus grand la bouche pour donner plus d’ampleur à son chant, tout en rendant plus distinctes ses paroles. C’est sans doute là la leçon à retirer de ce disque : accepter d’être d’avantage dans le récit ouvert sur le monde et moins dans l’expression brute d’une intériorité tourmentée.
Up On Gravity Hill s’ouvre par le monumental No Reservation / Love Comes Crashing, qui s’impose d’ores et déjà comme un sommet de la production discographique des canadiens, semblant prolonger A Boat To Drawn In qui concluait prodigieusement le précédent Atlas Vending : même format inhabituellement long, même manière de s’achever dans de denses volutes de sons, semblant figurer un ciel mouvementé. On a affaire à plus de six minutes éprouvantes et émouvantes, furieuses et héroïques, se ralentissant vers le milieu pour ensuite s’étirer, s’étoffer, et finalement s’illuminer par des guitares phosphorescentes rappelant My Bloody Valentine. Les morceaux qui suivent semblent plus prévisibles dans leur construction, mais attestent de la plus nouvelle approche mélodique du trio. 99 et son refrain imparable, Wound Tight et ses choeurs quasiment pop le montrent bien, tandis que Superior Mirage s’enrichit progressivement de couches d’éléments sonores, donnant l’impression d’élargir l’horizon. Mais les fondamentaux de Metz ressurgissent régulièrement, comme sur Never Still Again qui, à côté d’un refrain réconfortant, présente des guitares stridentes zigzaguant de façon démente. Entwined (Street Light Buzz) synthétise brillamment toutes les tendances, anciennes comme nouvelles, de ce nouvel album, avec son refrain lumineux vite rattrapé par une bourrasque métallique combinant force de frappe rythmique et riffs en surchauffe.
Enfin, vient l’inimaginable : le splendide Light Your Way Home, sur lequel Alex Edkins partage le chant avec Amber Webber de Black Mountain, une véritable ballade shoegaze qui leste toutefois son refrain d’une masse sonore plombée et électrifiée, comme un véritable appel à la terre contrebalançant le côté aérien des couplets. Chris Slorach, le bassiste du groupe, déclarait à Mowno en 2014, à l’approche de Metz II : ‘La seule chose que je puisse te promettre, la seule qui soit sûre et certaine, c’est qu’il n’y aura pas de ballade sur le prochain album. Ne compte pas là-dessus !’. Dix ans plus tard, le trio est toujours au combat, mais accepte de mâtiner de tendresse sa résistance à la violence du monde. Un tour de force, à nouveau, mais qui va droit au coeur.
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