04 Oct 24 Memorials – ‘Memorial Waterslides’
Album / Fire Records / 04.10.2024
Pop expérimentale
Une bonne partie de la musique que nous écoutons, involontairement ou volontairement, adhère à l’esprit du temps, se fond dans le présent pour en devenir la bande-son. Certains albums, toutefois, nous font glisser dans le passé, tandis que d’autres nous projettent dans l’avenir. Mais il existe une troisième catégorie d’objets sonores plus ou moins bien identifiés, ceux qui télescopent les différentes dimensions du temps et Memorials Waterslide, l’album de Memorials, rentre aisément dans ce groupe, dont on se demande bien d’ailleurs s’il ne serait pas le seul membre. Claviers psyché qui ramènent aux Kinks ou aux Doors, folk déglingué, électronique vintage flirtant avec le krautrock, pop retro futuriste à la Broadcast… Ici, on voyage dans le temps et dans les genres avec inventivité, fluidité et maîtrise. Voilà une œuvre fascinante mais déstabilisante, drôle mais émouvante, délicate mais aussi, subtilement, angoissante. Difficile à présenter et à décrire par son souci constant de modifier tous les repères de l’auditeur. Une sorte de kaléidoscope musical autour duquel on tournerait et qui projetterait, en lieu et place de multiples éclats de lumière diversement colorés, des sonorités bigarrées, comme des flashes de souvenirs ou de brusques visions de ce qui nous attend.
Memorials, c’est le duo formé par Verity Susman (Electrelane) et Matthew Simms (Wire, Better Corners, It Hugs Back, Uuuu, Fitted), deux multi-instrumentistes connus jusqu’à présent pour des musiques de documentaires [Music For Film : Women Against The Bomb (2023), Music For Films : Tramps, vol. 1 & 2 (2023)], pour une tournée avec Stereolab (avec lequel ils présentent de nombreuses affinités) et pour une performance au Centre Pompidou en mars 2024 s’inspirant de l’oeuvre de Louise Bourgeois, Precious Liquids. Expérimentale, leur approche semblait devoir restreindre leur public à quelques amateurs d’art rock exigeant, pourtant MemorialsWaterslide, intégralement produit par Susman et Simms dans leur propre studio, a les qualités qui devraient leur faire entrouvrir les portes d’une reconnaissance plus large. Versatile, intrépide et inspiré, l’album suscite curiosité, enthousiasme et, lors de moments particulièrement bien choisis, une profonde émotion. Dans sa structure, il se rapproche de Music For Film : Women Against The Bomb, avec trois grands mouvements.
Le premier se rattache clairement à la tradition de la pop. Acceptable Experience, le premier titre, est déjà un condensé brillant de ce que l’on retrouvera par la suite : un orgue vintage réveillant le fantôme de Ray Manzareck, une harmonie des voix particulièrement séduisante et, à l’arrière plan, toute une galerie hétéroclite de sons surgissant brusquement, s’entremêlant et finissant par disparaître tout aussi subitement. L’enchaînement de l’éblouissant Lamplighter, Cut It Like A Diamond et Name Me, une ballade somptueuse dont les voix se démultiplient dans l’écho, démontre tout le talent de mélodiste du duo en même temps que sa capacité à maîtriser un nombre impressionnant d’instruments afin de dynamiser chaque morceau.
Le second mouvement déconstruit le présent par son approche plus expérimentale, proche de ce que Memorials réalisa pour ses musiques de films. Memorial Waterslide II (qui fait suite au troisième titre de l’EP Centre Pompidou) est le moment le plus radical de l’album, qui déstabilise à la première écoute mais qui, aux suivantes, finit par intriguer et amuser par cet assemblage insolite et imprévisible de bruits divers, traversé régulièrement par les pitreries d’un saxophone solitaire. Ce n’est absolument pas cohérent, mais à la manière d’un numéro de cirque, s’efforçant de maintenir sans succès la stabilité d’un ensemble fait de bric et de broc. Par la suite, Book Stall renoue avec une mélodie identifiable, mais l’harmonie de la voix est sans cesse agressée par un tintamarre persistant au second plan. Enfin, False Landing commence comme un morceau de free jazz pour, au bout de 2 minutes 30, laisser la place à un chant voguant vers l’indéterminé sur un océan de sonorités étranges.
Le troisième mouvement fait disparaître progressivement les bruits, aère l’espace sonore et nous amène à deviner l’avenir. Horse Head Pencil, avec un simple piano et des cordes carillonnantes, fait ressortir la gravité de la voix de Matthew Simms tandis que I have Been Alive accomplit un long cheminement vers un refrain ample et réconfortant que lance une sobre ligne de basse. C’est ainsi que, apaisés,nous pouvons accueillir comme il se doit The Politics Of Whatever, qui clôt merveilleusement Memorial Waterslides, jetant finalement un regard tristement nostalgique au toboggan aquatique figurant sur la pochette et devenu symbole et vestige d’une civilisation ayant fait de la recherche frénétique du plaisir individuel sa finalité principale. Et c’est accompagnés par la sublime mélodie vocale qui se déploie alors, soulignée par des choeurs que n’auraient pas reniés les Beach Boys, que nous pouvons nous mesurer au crépuscule, à la fin d’un monde.
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