
12 Mai 25 mclusky – ‘The World Is Still Here And So Are We’
Album / Ipecac / 09.05.2025
Noise rock
Faites confiance à Andy Falkous pour ne pas faire de la reformation d’un groupe mythique un épisode aussi prévisible et sans aspérités qu’une énième suite à Jurassic Park. Le groupe en question, c’est bien entendu mclusky, et Falkous n’est pas là pour transformer le projet phare de sa vie en un parc d’attractions pour dinosaures du rock. Aucune surprise pour quiconque avait suivi l’affaire au début des années 2000. Mclusky Do Dallas ne se contentait pas d’aligner de furieux bangers noise-rock pied au plancher, par exemple. Il prenait aussi le temps de faire quelques étapes dans des stations services à l’ambiance bizarroïde, grâce à des petites perles sardoniques telles que Fuck This Band et Alan Is A Cowboy Killer, rendant l’œuvre encore plus iconoclaste – et paradoxalement iconique – à une époque où le revival rétro et le landfill indie sans saveur prenaient le dessus dans l’idiome ‘rock’ en général. Sous cet angle, The World Is Still Here And So Are We ne fait donc que reprendre le fil là où le gallois l’avait laissé il y a vingt ans.
Ce dernier ne présenterait probablement pas les choses de cette manière, mais la récente vague crank wave outre-Manche fournit de fait une conjoncture beaucoup plus favorable à mclusky aujourd’hui. Atout de taille auquel s’ajoutent les étincelles fournies par le line-up actuel du projet. Accompagné du bassiste Damien Sayell (St Pierre Snake Invasion) et Jack Egglestone, dernier batteur de la formation originelle et compagnon de route de l’aventure Future Of The Left, Falkous a donc les coudées franches pour écrire un nouveau chapitre déjanté au sein de son grand roman personnel, rempli de voix narratives tordues et de riffs retors comme des fils barbelés. Et plutôt que d’éviter les nids de poule, il choisit au contraire de foncer dedans, au risque de donner le tournis à ses passagers. En attestent quelques nouvelles comptines décalées telles que People Person, The Competent Horse Thief et Not All Steeplejacks, qui alternent entre malaise lancinant et velléités plus ironiquement mélodiques, sans trop se préoccuper de cohérence. C’est le poil à gratter et la gouaille de Falkous qui font surtout le show ici, et le spectacle donné sur ces titres ravira en priorité les fans hardcore du bonhomme, tout en en laissant certains sur le carreau.
Cet aspect brinquebalant a cependant toujours fait partie du charme de l’entreprise, et il est aisément contrebalancé par une collection de bombes à fragmentation qui atteint sans peine le même niveau de destruction que par le passé, se situant encore une fois entre un Pixies sous stéroïdes et un Jesus Lizard shooté au gaz hilarant (Unpopular Parts Of A Pig, Way Of The Exploding Dickheads, Kafka-esque Novelist Franz Kafka, The Digger You Deep…). On trouve au passage les grenades les plus surprenantes sur la seconde face du disque. Falco, qui par ailleurs excelle autant dans les timbres aigrelets et les falsettos schizo que dans les hurlements maniaques et ravageurs, s’adonne même à une prestation vocale hénaurme, no-limit, sur Autofocus On The Prime Directive. Les saturations de guitare serties d’effets weird as fuck vrillent les tympans comme des perceuses sur Chekhov’s Guns ou Juan Party-System. Le sous-texte politique de certaines paroles, entre craintes apocalyptiques et regard acerbe sur le cirque politicien, se laisse entrevoir ici ou là, même s’il reste in fine surréaliste et insaisissable. Dernier pied de nez, Hate The Polis voit le frontman emmener sa bande sur le terrain de la comédie musicale subversive, façon Queen période Sheer Heart Attack, au cours d’une conclusion au 26ème degré, saupoudrée d’harmonies vocales délicieusement ironiques.
Brutaliste, absurde et grinçant, The World Is Still Here And So Are We permet à mclusky d’ajouter un nouveau tome à son épopée abrasive, avant peut-être d’en ajouter d’autres dans les années qui viennent. D’un point de vue strictement commercial, la formation galloise n’avait jamais totalement réussi à tirer les marrons du feu lors de la première phase de son existence. Mais connaissant l’abattage si prolifique de Falkous, ainsi que son inébranlable motivation dès qu’il s’agit de tourner en dérision le monde autour de lui, on se dit que le combustible qui nourrit ce feu-là a encore de beaux jours devant lui.
Photo : Keira Anee
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