
03 Fév 24 Mad Foxes – ‘Inner Battles’
Album / Autoproduction / 02.02.2024
Indie rock
Après la résonance internationale d’Ashamed en 2021, Mad Foxes s’est imposé comme une référence incontournable du rock en France. Sérieux et concernés dans le propos, s’engageant corps et âme sur scène, toujours accueillants vis-à-vis du public grâce à un sens de l’humour abolissant les distances, les Nantais sont devenus emblématiques d’une radicale détermination à défendre et à incarner les valeurs de tolérance et de bienveillance que la scène indé promeut depuis quelques années. S’ils ont traversé des phases de doute lors de l’enregistrement de leur troisième album, l’éthique qu’on leur connaissait pouvait leur donner la confiance leur permettant d’élargir leurs horizons, afin d’installer leur groupe comme l’incontournable qu’il était destiné à être dans le paysage musical national.
Si Ashamed était assez clairement polarisé avec d’un côté des bangers ultra efficaces (Gender Eraser, Propeller) et de l’autre des compositions plus sombres, denses et étirées (Sights, Home), ce Inner Battles, tout en ayant une profonde cohérence et même – croit-on le deviner – une certaine progression narrative, donne une impression constante de diversité, non seulement entre les morceaux eux-mêmes, mais également à l’intérieur de chacun d’entre eux. La plupart des titres réservent ainsi des surprises dans leurs structures, maintenant en éveil l’auditeur et le réjouissant par leurs changements inopinés de directions. On trouve, ici, une brusque accélération (Hurricanes), là un changement de rythme (Guru avec, à la fin, un groove insufflé qui permet de s’arracher à l’atmosphère plus pesante du morceau), ailleurs quelques sonorités vintage années 80 (Cold Water Swim ou YNBF) qui, soigneusement utilisées, permettent de rompre avec les habitudes, sans voir le groupe pour autant sacrifier son identité.
On peut certes remarquer des compositions au climat plus sombre (The Other Hand, White Gloves), tandis que d’autres affirment leur versant solaire (Jungle Knives et sa mélodie dansante), mais indubitablement chaque morceau semble être suffisamment aéré pour esquisser différentes directions permettant à l’auditeur de ne jamais s’engluer dans une émotion unique. Le plus marquant ici, c’est l’éponyme Inner Battles où l’énergie déployée n’est jamais uniforme mais a ce pouvoir de s’intensifier d’elle-même, permettant au groupe d’acquérir une ampleur vers laquelle il se dirigeait déjà par le passé mais qu’il n’avait jamais atteint avec une telle réussite. Sudden (Part 1 et 2) représentent à ce titre, probablement, le sommet de l’album : la même mélodie et le même texte sont employés, mais joués sur deux rythmes différents, la partie 2 s’accélérant de façon vertigineuse jusqu’à un paroxysme libérateur. Au coeur d’un disque qui traite de conflits intérieurs, c’est juste ce qu’il fallait, au moment où il le fallait, pour exorciser ses peurs, accepter ses angoisses et peut-être, dans un ultime cri, s’en libérer. On pressent d’ailleurs que, au fil de l’écoute d’Inner Battles, ce jeu d’ombres et de lumières mène vers la possibilité d’une catharsis.
Et c’est donc là la réussite de ce nouvel album : présenter une grande variété de sonorités, se différenciant du précédent, mais sans jamais perdre son unité. Lucas, Elie et Arnaud connaissent l’identité de Mad Foxes, savent d’instinct ce qui la caractérise non seulement pour eux mais également pour leur public, ce qui leur permet de doser avec une grande justesse tous les éléments de nouveauté afin que ceux-ci ne viennent pas altérer cette identité mais plutôt l’élargir en en conservant l’essence. Se dégage donc une profonde intégrité dans la manière de penser l’évolution du groupe, qui implique que ses membres soient à l’écoute de leur propre sensibilité sans jamais sacrifier l’exigence de lui donner un sens. Et cette maîtrise dans la forme se retrouve également dans la manière d’aborder le fond qui, ici, renvoie à des thèmes aussi personnels que la dépression. Car jamais l’écoute d’Inner Battles ne donne l’impression d’être le compte rendu d’expériences purement subjectives, excluantes, car les Mad Foxes savent bien qu’en avouant leurs faiblesses, ils assument en réalité leur proximité avec leur public, rejoignant ainsi ce qu’écrivait de manière limpide, Emmanuel Levinas : ‘Les larmes, c’est peut-être cela. Défaillance de l’être tombant en humanité (…)‘.
Pas de commentaire