Little Simz – ‘Sometimes I Might Be Introvert’

Little Simz – ‘Sometimes I Might Be Introvert’

Album / AWAL / 03.09.2021
Hip hop

Entre scène néo-jazz florissante et artistes hip hop dont l’influence commence à sérieusement s’étendre au-delà des îles britanniques, l’Angleterre serait-elle en passe de devenir un nouvel eldorado du groove et de la black culture ? Dernière carte que le vieil empire vient de flanquer sur la table de la sono mondiale, Simbi Ajikawo, alias Little Simz, compte bien profiter de cette dynamique pour marquer les esprits. Après quelques mixtapes et trois albums à l’aura encore limitée en dépit des prix amassés, son Sometimes I Might Be Introvert (comme S.I.M.B.I.) semble ainsi avoir été taillé pour rafler la mise longtemps attendue, et la tuerie Introvert qui ouvre ce quatrième disque sur un boléro épique et grandiose place d’emblée la barre très haut, entre envolées orchestrales cuivrées et classic hip hop soyeux et revendicatif, amalgame que seule la contrée abritant à la fois Skepta et le Royal Albert Hall pouvait voir fleurir en son sein.

À l’image de ce premier single, Sometimes I Might Be Introvert se nourrit donc d’un certain sens du paradoxe, celui d’une société qui valide les éclatants succès individuels tout en fermant les yeux sur la situation de ses laissés-pour-compte. Prise elle-même dans ce paradoxe, Little Simz adopte une démarche qui se rapproche de celle que Slowthai a déployée sur son Tyron sorti en début d’année, à savoir explorer la dualité entre la figure publique de tout bon rappeur – forcément grandiloquente, crâneuse et sûre d’elle-même – et le besoin d’introspection, d’humilité et de repli sur soi qui en découle ensuite. Mais là où la canaille de Northampton divisait clairement son disque en deux parties distinctes, Little Simz choisit elle de brouiller les pistes, passant en permanence de ce mode épique évoqué plus haut à une ambiance plus intimiste et confessionnelle. Voir par exemple les interludes avec Emma Corrin, Princesse Diana dans la série The Crown, où l’actrice donne avec un accent posh des conseils de self-help à Simbi, fille d’immigrés nigérians dont l’ambition la pousse à aller toujours plus loin, toujours plus haut. Pour relier ces différentes ambiances, il faut bien un flow comme celui de Little Simz, porté par une voix certes aigüe, mais surtout posée et précise, s’accordant ainsi sans trop de mal à ces divers changements de braquets, que ces derniers soient ironiques ou à prendre au premier degré.

Musicalement, toutefois, la production léchée du bouillonnant Inflo (Sault, Michael Kiwanuka) tend à s’égarer dès qu’elle s’éloigne du combo orchestre symphonique / classic hip hop / soul music du single, alliage qui fait heureusement d’autres étincelles assez spectaculaires sur des titres comme Two Worlds Apart, I Love You I Hate You ou Standing Ovation. Sans cette ossature orchestrale soutenue par le travail de Rosie Danvers, déjà responsable de ce type d’arrangements à la John Barry pour Jay Z et Kanye West, les intentions deviennent en effet un peu trop obscures parfois, Inflo et Simbi ne sachant pas trop où se jeter une fois cordes et cuivres rangés dans leurs vénérables étuis. L’inévitable piste trap Rollin’ Stone – en référence à l’immortelle chanson des Temptations – est certes efficace, mais son contenu semble avoir déjà été entendu mille fois auparavant, chez Cardi B, 21Savage ou Migos. Ailleurs, Protect My Energy est une kitscherie eighties assez laide et sans intérêt, et si des titres comme Woman et How Did You Get Here cherchent à instaurer une atmosphère rhythm and blues à la Lauryn Hill, le premier est trop linéaire et le second un peu trop convenu dans son exercice-de-retour-sur-les-années-écoulées pour véritablement passionner ici.

Heureusement, certaines étapes dans ces chemins de traverse valent encore le détour : parmi elles, l’option afro-beat, d’ailleurs choisie sur deux titres consécutifs, ce qui n’est certainement pas un hasard. Frais, enlevés et entrainants, Point And Kill, avec l’étrange néo-griot Obongjayar, et Fear No Man viennent sauver in extremis le disque de ses errements. On y ajoutera également le minimalisme jazzy de Miss Understood, son kick irrégulier et sa ritournelle au piano, qui concluent ainsi l’album dans un contrepied total à son ouverture en mode cinémascope. Les confessions de Simbi n’auront d’ailleurs jamais été aussi personnelles que sur ce titre. Simples et sincères, ces options – ainsi que leurs deux figures tutélaires, en gros Fela Kuti et DJ Premier – seront peut-être celles à invoquer plus largement à l’avenir pour transcender le message d’unité de Simbi en une œuvre qui soit elle aussi musicalement unitaire et convaincante de bout en bout. Au vu de l’ambition affichée par Sometimes I Might Be Introvert, on se dit que cela doit être dans ses cordes.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Introvert, I Love You I Hate You, Two Worlds Apart, Standing Ovation, Point And Kill, Fear No Man


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