Little Simz – ‘No Thank You’

Little Simz – ‘No Thank You’

Album / AWAL / 12.12.2022
Hip hop

Je n’ai jamais voulu être immortalisée‘. En démarrant son cinquième opus avec cette phrase, quelques semaines seulement après avoir reçu le prestigieux Mercury Prize, Little Simz pose d’emblée les enjeux de No Thank You : le succès critique, la pluie de chroniques dithyrambiques, l’industrie du disque qui s’agite autour d’elle – tout cela ne saurait être aussi important que son intégrité d’artiste, voire même son équilibre personnel. Alors que Sometimes I Might Be Introvert, album de la consécration, sortait la grosse armada dès son génial titre d’ouverture (boléro orchestral, timbales martiales, boom-bap soyeux, texte revendicatif…), son successeur prend un malin plaisir à aller dans une direction totalement opposée pour ce qui est d’ouvrir le bal. Avec son beat minimaliste et ses boucles de voix timides en arrière-plan, Angels évoque un décor plus domestique, un salon cosy à taille humaine dans lequel Simbi Ajikawo serait plus à l’aise pour se poser. Elle laisse libre cours ici à ses émotions les plus spontanées, qu’elle remercie ses anges gardiens, conspue les parasites se faisant de la maille sur son dos, ou exprime le besoin de mieux se protéger de certaines désillusions à l’avenir. De fait, quasiment tout dans No Thank You – sa sortie surprise en toute fin d’année, après la révélation des traditionnelles years’ end lists de décembre ; la concision de son tracklisting, avec dix titres seulement ; ou encore l’absence d’interludes conceptuels – tout cela, donc, laisse entendre que Little Simz souhaite faire retomber la pression sur elle et sa musique. À l’écoute de Angels, un doute surgit, même. Cet album ne serait-il qu’un détour, un épisode mineur ?

No, thank you, répondra le chroniqueur avec soulagement. De fait, une seule écoute suffira pour arriver à une conclusion inverse – jusqu’à se demander si ce disque ne serait pas le meilleur album de la rappeuse londonienne, tout compte fait. Il est en tout cas son effort le plus cohérent, celui où l’auditeur tenté de sauter des pistes pour séparer le bon grain de l’ivraie se rendra compte que cela ne sera pas nécessaire cette fois-ci. Sometimes I Might Be Introvert souffrait d’errements stylistiques qui nuisaient à la cohésion de l’ensemble – un manque de cohésion que nombre de publications ont choisi de passer sous silence, toutes enthousiasmées qu’elles étaient par les crêtes des montagnes russes construites par Simbi et son producteur Inflo. En comparaison, No Thank You est largement plus constant, ce qui ne l’empêche pas de survoler des hauteurs que peu de teams hip hop peuvent atteindre aujourd’hui. Si les touches orchestrales luxueuses sont toujours présentes, elles sont aujourd’hui égrainées de manière plus équitable, et souvent soulignées par des chœurs au recueillement liturgique. Le canevas hip hop, impeccable, n’a plus qu’à faire le reste. Il faut entendre ces cuivres cinématiques se crasher sur la contrebasse old school de Gorilla pour comprendre que le producteur de Sault a acquis un sens du timing parfait. Ajoutez à cela le flow ludique de Simz, alors que cette dernière fait s’étirer les syllabes et claquer les consonnes sans effort apparent, et vous obtiendrez avec ce second titre un sommet de coolitude rapologique qui rappellera à tout bon hip-hop nerd des légendes comme A Tribe Called Quest ou encore Digable Planets. Silhouette continue lui de creuser le sillon John Barry précédemment exploité par le duo, avec ses chœurs alternant entre B.O. de James Bond et envolées gospel, le tout sur un pattern rythmique virant afro-latin sur sa conclusion instrumentale. Plus moderne, No Merci se passe de beat, mais n’en reste pas moins hypnotique, avec sa basse lourde, ses boucles répétitives entre Steve Reich et Gustav Holst, ou encore ses synthés doucereux renvoyant à ceux de Stevie Wonder dans l’étonnant Journey Through The Secret Life Of Plants.

Et le meilleur est encore à venir. X, premier vrai crescendo musical et émotionnel de l’album, reprend et affine les élans lyriques de Sometimes I Might Be Introvert, et fait monter l’intensité d’un cran en appelant la communauté africaine à se dresser dignement, religieusement presque. Les philistins à costard, qu’ils soient issus du music business ou du business tout court, y sont au passage renvoyés à leur hypocrisie, tout comme ils le seront sur le titre suivant, le poignant Heart On Fire. Simz ne moralise pas le propos pourtant : elle fustige ses propres pulsions consuméristes, se questionne, cherche des issues pour elle ou pour les autres. Broken part ainsi d’elle-même, de son enfance et de sa propre situation d’artiste, mais élargit ensuite le sujet à celle de tous les immigrés de son pays, aux luttes et traumas qu’ils y subissent depuis toujours, et de l’importance de mettre des mots sur ces choses-là. Samples soul et arrangements orchestraux sont l’écrin idéal à ces exploration intimes et politiques, qui prennent leur temps pour développer leur propos sans jamais toutefois traîner en longueur.

Retournant à la discrétion initiale de Angels, les trois derniers titres bouclent l’affaire en mode mezzo-voce (Sideways et ses étranges couches de voix triturées; le dispensable Who Even Cares, où Simbi s’essaie à l’auto-tune sur une scie synth-funk un peu anodine ; et le très personnel Control, dont le combo minimaliste rap-piano rappellera certaines récentes expérimentations de Kendrick Lamar). Un vrai final, peut-être plus aventureux à défaut d’être grandiose, aurait certainement fait de No Thank You un album plus marquant encore. Qu’importe, l’essentiel a déjà été dit : de Gorilla à Broken, Little Simz et Inflo savent maintenant comment effectuer une séquence parfaite, sans impair notable ni digression inutile. Et ils ont eu raison de le faire dans leur coin, sans effet d’annonce ni autres billevesées imposées par des considérations médiatiques et industrielles. Simbi Ajikawo a beaucoup parlé d’empowerment et d’émancipation ces dernières années. Avec No Thank You, elle vient de passer des mots aux actes. Dire non, c’est souvent dire oui à ce qui compte vraiment, après tout.

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A ECOUTER EN PRIORITE

Gorilla, Silhouette, No Merci, X, Heart On Fire, Broken


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