Little Simz – ‘Lotus’

Little Simz – ‘Lotus’

Album / AWAL / 06.06.2025
Hip hop

Soyons honnêtes : Little Simz n’a plus rien à prouver. Elle en est d’ailleurs parfaitement consciente et pourrait, à ce titre, se reposer sur des lauriers acquis au fil d’une série d’albums et d’EP qui, chacun à sa manière, a su asseoir, entretenir et confirmer son statut : elle est l’une des rappeuses les plus talentueuses de sa génération, tant par ses capacités techniques et lyriques que par ses choix artistiques au sens large. Face à une telle évidence, des questions se posent forcément : Que dire de plus ? Comment le dire ? Quels recoins reste-t-il à fouiller ? Doit-on creuser encore, s’infliger à nouveau l’exploration intime que requiert l’écriture ? Faut-il forcément chercher à se dépasser, quitte à en faire trop, ou bien la sincérité des intentions suffira-t-elle à transmettre la qualité du travail ? Ces questions, Simz les explore dans ce sixième album, Lotus, en quelque sorte le pendant de son troisième opus, Grey Area (2019), celui-là même qui l’a placée pour de bon sous les projecteurs.

Grey Area, portrait de l’artiste en nuances de gris, abordait ses questionnements personnels à travers une écriture franche, condensée et habile, posée sur des arrangements live assez dépouillés mais follement efficaces. Lotus, avec sa pochette elle aussi en teintes de gris, est imprégné de cette même chaleur analogique et revient à une production relativement minimaliste, surtout si on la compare à celle, plus dense et emphatique, de ses deux prédécesseurs, Sometimes I Might Be Introvert (2021) et NO THANK YOU (2022). Ce changement ne sort a priori pas de nulle part. En effet, l’artiste se sépare ici de son producteur de très longue date, Inflo, suite à une rupture professionnelle amèrement digérée, qui inspire d’ailleurs à Simz le très acerbe morceau d’introduction Thief. Ces vicissitudes retardent non seulement la production de l’album mais poussent également l’artiste à douter profondément de ses capacités à rebondir, sujet qu’elle aborde entre autres sur Lonely. D’ailleurs, sans pour autant tomber dans l’ultra-intime (à l’exception du titre Blood, où elle met en scène une conversation téléphonique avec son frère, qu’on devine à peine fictive), le contenu thématique du disque est dans l’ensemble plus personnel, peut-être plus qu’il ne l’a jamais été, pas tant dans l’écriture elle-même que dans la tonalité et l’expression de cette intériorité.

Chez Little Simz, pas besoin de gros effets pour incarner la puissance du sentiment (à l’image des titres des morceaux, dont aucun n’excède un seul mot). Son flow reste majoritairement calme et posé, toujours finement soutenu par une production qui n’a rien à envier à celles de ses précédentes sorties, cette fois-ci chapeautée par le relatif inconnu au bataillon Miles Clinton James (Kokoroko). Tout l’ADN de l’Anglaise est là, mais il réussit néanmoins le tour de passe-passe de se renouveler tout en restant instantanément reconnaissable, porté par une équipe de musiciens phénoménaux — comme toujours, la section rythmique, tout particulièrement la basse, est hallucinante sur la quasi-totalité des titres. Featurings exemplaires aussi, mais on notera surtout la double participation (sur Flood et Lion) du collègue Obongjayar (dont on ne peut que chaudement recommander le dernier opus, Paradise Now, auquel Simz a elle-même contribué), qu’on avait précédemment entendu sur l’irrésistible Point and Kill ; ainsi que celle du grand Michael Kiwanuka sur le morceau éponyme, probablement l’un des plus gros temps forts de Lotus en termes de production, avec ses volées de cloches subliminales, son sample de Shuggie Otis magnifiquement calé, un véritable bonbon auditif qu’on aurait aimé voir clore le disque (mais bon, on pinaille). L’album réussit le pari d’échapper à la monotonie en enchaînant les styles sans que ces variations ne paraissent rentrées au chausse-pied. Embardée totale, le single Young dénote et fera peut-être lever certains sourcils puristes, mais l’hommage assumé aux Streets et à tout un pan de la culture garage et punk UK est trop jouissif pour balayer l’effort d’un revers de main, surtout lorsqu’il parvient à enchaîner sans heurt sur une déclaration d’amour au rythme bossa nova (Only) — remarquons au passage que certaines des transitions de morceaux sur cet opus sont assez démentes. Et sinon, le regretté Sly nous a quittés ? Qu’à cela ne tienne : Enough prouve que le funk n’est pas mort et qu’il fonctionne vraiment très, très bien avec le rap. On revient également aux racines avec du R’n’B old school (Free), mais aussi du spoken word où, là encore, Simz règle ses comptes tranquillement sur fond de jolies envolées orchestrales (Hollow).

Tout ça pour dire que oui, Simz fait ce qu’elle veut et que oui, il faut se rendre à l’évidence : ça fonctionne. Sa cadence et son écriture — honnête, directe, ancrée dans une réalité vécue —, elle les peaufine depuis plus d’une décennie. Les doutes qu’elle exprime ici n’auront été que de courte durée. À l’évidence, on retrouve sur ce nouveau projet une artiste solide sur ses appuis et confiante en ses acquis, lucide sur sa place dans l’industrie. En ce sens, le bien-nommé Lotus représente une sorte de renaissance à la fois métaphorique et très réelle pour la Britannique. Elle qui se sentait prise dans la vase a su puiser dans cet enlisement la force vitale et créatrice d’éclore, fière et droite, en donnant vie à un disque à l’image de la fleur qui l’orne : d’une élégance indubitable.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Thief, Flood, Free, Enough, Lotus

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