Lana Del Rey – « Born To Die »

Lana Del Rey – « Born To Die »

lana180Album
(Polydor)
30/01/2012
Marketing pour les nuls

On savait les grandes maisons de disque expertes en marketing. On ne les imaginait pas perverses à ce point. Alors qu’Adèle se préserve des attaques en brossant les 7 à 77 ans dans le sens du poil, Lana Del Rey arrive à point nommé pour s’assoir sur le trône de la diva aux deux visages laissé vacant par Amy Winehouse. Certes moins talentueuse et opérant dans un registre différent de l’anglaise, la nouvelle égérie n’en cultive pas moins le paradoxe, et parvient elle aussi finalement à s’inviter dans tous les foyers à la force d’un matraquage savamment orchestré, et d’un soin tout particulier apporté à son image: deux armes trompeuses qui, peu importe la musique, ont souvent fait mouche.

Sans même qu’on le sache, c’est il y a quelques temps déjà que le piège s’est peu à peu mis en place, quand la jeune Lizzy Grant écumait les scènes ouvertes de New York pour y défendre un premier album (extrait ici) paru sans conviction en 2010, avant de soudainement disparaitre et mieux se replacer dans les tuyaux pour une réédition prévue cet été. Il fallut alors qu’un petit génie sorti d’une grande école lui assène un coup de baguette magique pour que la demoiselle – alors ni plus ni moins talentueuse qu’une autre – devienne subitement Lana Del Rey: une superstar internationale, une nouvelle diva populaire pour consommateur de musique peu exigeant, assez charmante et antipathique à la fois pour alimenter les conversations, y compris chez ceux n’ayant jamais tendu l’oreille aux premiers titres encensés par la critique, trompeurs eux-aussi.

Dès lors, tel un animal devenu trop puissant pour son maitre, le piège s’est retourné contre tous, sans exception. Sainte-Nitouche hautaine aux lèvres gourmandes, soi disant galérienne mais finalement fille de millionnaire, Lana Del Rey s’est peu à peu noyée dans son rôle avant même la sortie d’un « Born To Die » si attendu qu’on le croyait seul capable de stopper l’industrie de la musique dans sa chute vertigineuse. A trop vouloir en faire, à trop abuser de ses ficelles, à trop vouloir lisser le personnage, tout ce petit monde utopiste semble avoir ainsi écrit une histoire dans laquelle il s’est lui-même perdu, sous estimant pleinement sa cible: car si la masse populaire est certes influençable, elle n’en est pas plus dupe.

C’est donc en faisant totale abstraction des yeux de biche de la demoiselle, et au fur et à mesure que ce « Born To Die » immensément théâtralisé se découvre, qu’on mesure toujours un peu plus la transformation de Lizzy Grant, et surtout à quel point les multiples influences convoquées ici effritent la cohérence de ce disque évènement. Trop long pour être vrai, l’album ne peut qu’un temps se cacher derrière ses quelques morceaux très réussis aux arrangements impériaux (« Born To Die », ainsi que les irréprochables « Blue Jeans » et « Video Games »), ou la voix de Lana Del Rey se marie parfaitement aux ambiances d’un trip hop nouveau, faussement précieux, comme si Tori Amos s’invitait chez Massive Attack.

En effet, derrière cette vitrine érigée pour amadouer quelques poignées de hipsters se dévoile finalement l’autre face, beaucoup moins intéressante, de l’artiste et de ses mentors. Presque par surprise, quand il ne fait pas dans un groove inoffensif (« Diet Mountain Dew »), un formatage sidérant (« Radio »), ou dans le manque d’intérêt le plus total (« Carmen », « Million Dollar Man »), ce « Born To Die » laisse tomber son habit sombre pour laisser briller sa superficialité mainstream, divague sur d’imbuvables eaux pop-RnB jusqu’à tenter – l’air de rien – de nous faire chavirer sur les rives de Rihanna et Madonna (« Dark Paradise », « Summertime Sadness », « This Is What Makes Us Girls », « Lolita ») qu’on prenait bien soin d’éviter jusque-là.

Tel un monument trop vite bâti, aux finitions préférées aux fondations, Lana Del Rey pourrait ainsi – tout comme ses stratèges – très vite devoir assumer cette vraie nature qu’elle ne parvient pas encore à dissimuler lors de prestations scéniques inconsistantes: celle d’un paquebot à marée basse, d’un produit marketing d’abord plein de promesses, générant finalement plus de déceptions que d’enthousiasme. Dans tout cela, parfait reflet de notre époque, la musique ne parait être malheureusement qu’un détail. Pourvu que ça cesse.

Disponible sur
itunes29


4 Comments
  • Maxime
    Posted at 22:04h, 29 janvier Répondre

    La chronique est très sévère pour ce disque que j’attendais depuis la découverte des premiers singles sur Mowno (qui a donc participé malgré lui à la surmédiatisation de la miss). Au-delà des aspects purement marketing soulignés par matthieu, j’ai été conquis (comme beaucoup de consommateurs de musique peu exigeants donc) par Video Games et Blue Jeans et je dois dire que la déception est grande à la lecture de la critique. J’essaierai malgré tout de me faire une idée en prenant soin de mettre de côté tous les travers évoqués qui n’ont peu avoir avec la musique. À part ça, merci pour cette chronique tant attendue 😉

  • Donsh!P
    Posted at 12:17h, 30 janvier Répondre

    Très bonne critique, mais cela valait il le coup de perdre du temps à rédiger un article sur cet album passe partout??? D’autant plus que sortait cette semaine le premier album de Nils Olav, album plutôt pas mal d’ailleurs.

  • Lauren
    Posted at 22:21h, 30 janvier Répondre

    Peut-on vraiment parler de critique ou de chronique quand on construit son texte en 6 paragraphes, que 3 parlent de la vie de l’artiste, du buzz, des albums précédents, de la polémique inépuisable, 1 parle des 3 titres sur lesquels tout a déjà été dit, 1 parle des 9 autres titres et enfin une conclusion.

    Je suis peut être peut au fait des coutumes de la rédaction des chroniques de disques mais pour faire comme tout le monde dès qu’il s’agit de lana del rey, je vais donner dans la caricature : il est impossible de faire une bonne critique de son album si les mots « lèvres » « hipster » « mainstream » « marketing » « lynchéen » (celui là vous l’avez pas) et à la limite même « lizzie grant » apparaissent. Pourquoi ? Parce que taper Lana del rey dans google news, ces mots seront systématiquement dans tous les articles. Qu’elle soit fille de riche, qu’elle ait une grosse bouche en plastoc, qu’elle soit une arnaque internationale imaginée par un esprit perfide diplômé de sup de pub, ou que les hipsters la détestent parce qu’il y a 6 mois ils pensaient pouvoir l’aimer, tout cela serait extrêmement intéressant dans un article « qui est réellement lana del rey ? Arnaque ou reflet de la société » qui paraitrait au choix dans les inrocks ou dans Public, mais totalement superflu dans une critique de disque, surtout si tout le reste en pâti.
    Je sais bien que personne n’est prêt au XXIe siècle à dissocier « l’œuvre » de l’artiste, qu’on me dira qu’elle est née d’un buzz sur un personnage et un clip plus que sur un morceau et que c’est un juste retour des choses qu’on parle d’avantage d’elle que de sa musique aujourd’hui (la logique du c’est elle qui a commencé a ses limites), c’est de la peopolisation de la musique reprise en cœur par tout ceux qui méprise les dérives marketing.

    Une critique d’album ou on parle pendant à peine plus d’un paragraphe de musique est un échec de la mission des magazines musicaux et une victoire pour tous ceux qui pensent la musique uniquement comme produit de consommation « de masse ». Je préfère leur laisser les poncifs et pouvoir lire un article affranchi dans la mesure du possible du contexte, pour se concentrer sur le contenu réel de l’album (si pauvre soit-il, là dessus on est d’accord, mais personne ne me demande mon avis)

    Je sais, c’est un message prétentieux, mais bon, quand on parle de Lana del Rey, il est de bon ton d’oublier la mesure, alors je m’adapte.

    • matthieu
      Posted at 08:40h, 31 janvier Répondre

      Joli commentaire, et constructif de surcroit… Comme quoi la demoiselle fait débat. Pour revenir simplement sur la forme de l’article (pour le reste, chaque avis se défend), je dirais simplement que si les morceaux inconnus du grand public étaient aussi bons que tous ceux entendus avant, on parlerait logiquement plus de musique que du personnage. Si tu as écouté l’album, on sera d’accord que l’histoire de Lana Del Rey ne retiendra que trois titres et le vernis (non assumé, ce qui est d’autant plus grave) de la dame. Quitte à vouloir en faire un phénomène, mieux valait-il ne rien laisser au hasard…

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