Lambrini Girls – ‘Who Let The Dogs Out’

Lambrini Girls – ‘Who Let The Dogs Out’

Album / City Slang / 10.01.2025
Punk rock

On vit une époque de merde : grands leaders toxiques, victoires idéologiques des pires parasites, politiques rétrogrades et réactionnaires, racisme décomplexé, pauvreté galopante, misogynie sournoise, transphobie aux conséquences dévastatrices… De quoi donner envie d’envoyer l’internationale de connards qui nous pourrit quotidiennement l’actualité aller se faire cuire le cul sur une plancha. La musique permet certes de se défouler, mais on se demande parfois aussi si parmi les artistes ‘actuels’ les plus exposés, il ne manquerait pas de voix singulières pour parler de ces sujets en des termes crus, directs et jubilatoires. Des voix que l’on pourrait écouter en dressant les majeurs bien en l’air. On va pas se gêner pour des fumiers, non ?

Les Lambrini Girls sont une des ces rares voix. Celles-ci ruaient déjà dans les brancards il y a deux ans grâce à leur E.P. You’re Welcome, première carte de visite qui sentait bon les effluves de pintes anglaises, et sur laquelle étaient griffonnés d’une écriture débraillée slogans féministes, discours pro-trans et tirades anti-establishment. Phoebe Lunny et Lilly Macieira aimaient y appuyer là où ça fait mal, et renouaient ainsi instinctivement avec la longue histoire du punk revendicatif – le tout avec un sens de l’humour ravageur, meilleure arme pour railler les imbéciles. Depuis, elles ont signé avec City Slang, suivi Amyl And The Sniffers et Idles sur les routes d’Europe et des États-Unis (créant un chaos indescriptible sur scène et dans la fosse), et surtout enfoncé le clou avec God’s Country et Body Of Mine, deux one-off singles vindicatifs – le mot est faible – qui résumaient à eux seuls la double-facette du duo : braillardes, politiques, et agitées du bocal côté face ; foncièrement mélodiques et/ou bruitistes côté pile. Une double facette que l’on retrouve aujourd’hui avec leur premier LP Who Let The Dogs Out, qui met les points sur les ‘i’ comme on met des tartes dans la gueule.

Côté face, le propos est toujours aussi cinglant sur l’état de déliquescence de la perfide Albion, la question queer, ou encore celle de la libération de la femme, servi par la faconde sans filtre de Phoebe. Une performance vocale en roue libre, bavarde, bravache, qui trouve dans l’excès trash une sève typically British qui ravira à coup sûr l’auditeur ayant déjà posé les pieds au sein du paysage prolétaire outre-Manche. D’entrée de jeu, Bad Apple lance un énorme ‘ACAB’ dans la tronche des supposées forces de l’ordre (‘Officer, what seems to be the problem? / Or can we only know post-mortem?‘, probablement la meilleure rime au sujet des violences policières trouvée ce côté-ci de l’Atlantique). Company Culture dresse lui un tableau grinçant et imagé du harcèlement sexuel au travail. Et complétant ce trio initial, l’anthémique Big Dick Energy pointe du doigt les petites bites des phallocrates de tous poils dans un ricanement sardonique et vengeur… Ce versant de l’album – le plus visible – ne s’économise ainsi aucun thème polémique, du poids de la société de consommation patriarcale sur l’image que les femmes se font de leur corps (pouvant mener à l’anorexie sur Nothing Feels As Good As It Seems) aux méfaits de la gentrification pour les communautés locales (expliqué avec précision et intelligence sur You’re Not From Around Here). Le tout sur une déclinaison de sonorités punk rock piochant autant dans les pots nineties US que dans de plus lointaines joyeusetés britanniques à la The Damned.

Côté pile, le disque a aussi le bon sens de ne pas rester en permanence sur ce braquet 100% punk à l’ancienne, sans que ces petits écarts ne nuisent une seconde à la nette vivacité de l’ensemble. Ici, de significatives incursions noise viennent relancer la dynamique sur les titres les plus rentre-dedans (le pont final de Company Culture, les élans abrasifs et quasi-indus parsemant l’intégralité de Bad Apple…). Là, un doublé de chansons plus atmosphériques ouvre de nouveaux horizons en deuxième partie de galette (Special Different et surtout Love, qui voit Macieira sortir un son proprement hénaurme de sa basse – gothique et hypnotique – et qui permet également à Lunny de prouver ses talents de guitariste par l’entremise d’un fingerpicking poignant et inspiré). L’apport de l’allié Daniel Fox – bassiste de Gilla Band et producteur de l’album – ainsi que celui de Jack Looker – co-compositeur sur une poignée de titres et par ailleurs guitariste des inestimables DITZ, également de Brighton – a certainement aidé les Lambrini Girls à explorer ces quelques chemins de traverse. Mais pour l’essentiel, à savoir l’aspect immédiatement viscéral de leurs chansons et le rendu très fidèle à l’énergie désordonnée du groupe en live, Lilly et Phoebe ne doivent rien à personne. La forte personnalité de ce disque, seules elles pouvaient l’insuffler.

Car en creux, derrière les phrases-chocs et les prises de positions frontales, on peut aussi trouver dans Who Let The Dogs Out l’auto-portrait de deux jeunes femmes tiraillées entre la quasi-impossibilité de faire confiance au concept d’amour au vu du bordel ambiant (No Homo, Love) et le besoin de se trouver à tout prix une communauté de cœur inclusive et rigolarde pour mieux faire face à l’adversité. Cuntology 101, qui troque les guitares pour des synthés très second degré, résume d’ailleurs à lui seul ce besoin salvateur. Hilarant clin d’œil final, cette célébration de l’anticonformisme à la Le Tigre dézingue les clichés patriarcaux et réhabilite avec un certain panache l’insulte cunty – histoire de conjuguer au féminin bienveillance et transgression, hédonisme jouissif et respect de l’autre dans toutes ses différences. Kathleen Hanna peut être fière de son héritage en 2025. Les Lambrini Girls ont repris son flambeau avec leurs propres codes et leurs propres marottes, avec conviction mais sans jamais totalement se prendre au sérieux non plus. Le genre de flamme que tout le monde – filles, mecs, cis, trans et autres – devrait essayer de s’emparer pour revivifier l’esprit contestataire qui manque cruellement à l’époque. Parce que des ordures rétrogrades à envoyer se faire cuire le cul, il en reste encore une sacrée pelletée.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Big Dick Energy, Company Culture, Bad Apple, Nothing Feels As Good As It Seems, You’re Not For Around Here, Love, Cuntology 101

EN CONCERT

2 Commentaires
  • Stéréo Réo
    Posté à 21:38h, 10 janvier Répondre

    Il manque des dates, moi j’ai mon billet pour le 26/02 à Nantes. J’espère que ça va être cunty!!

  • Dom
    Posté à 15:10h, 12 janvier Répondre

    Belle chronique d’un album très satisfaisant, ce qui n’était pas forcément chose aisée quand on sème pas mal de singles dévastateurs avant un premier LP.

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