La Flemme – ‘La Fête’

La Flemme – ‘La Fête’

Album / Exag / 25.04.2025
Garage pop

Depuis mars 2024, date de sortie de son vivifiant premier EP, La Flemme trace son chemin avec l’aplomb de sa jeunesse, que crédibilise non seulement son énergie totalement débridée, mais également sa capacité naturelle à révéler, sans complaisance et affectation, les états d’âme de toute une génération. Si les marseillais.es peuvent aborder des sujets sérieux, eux-mêmes ne se prennent pas pour autant au sérieux, leur lucidité sur l’état du monde ainsi que sur les difficultés à s’y épanouir n’allant jamais jusqu’à dégrader leur goût immodéré de profiter du moment présent. Depuis ses débuts, on reste admiratif par la capacité du groupe à dégoupiller avec insolence des refrains à chanter immédiatement, transfigurant ses morceaux par une foi indéfectible en sa musique, assumant les cadres mélodiques pop tout en prenant un malin plaisir à les déborder en permanence – irradiant, finalement, d’une présence et d’une conviction emportant tout sur leur passage.

Voici donc Jules Massa (guitare, chant), Stella Lopez (basse, chant), Charles Priem (batterie) et Ronie Marciano sortant leur premier album, La Fête, prêt.e.s à attirer un public de plus en plus nombreux dans leur monde coloré et exubérant, où personne n’est toutefois dupe des illusions produites. La Flemme, c’est un peu la société du spectacle exhibant ses propres dessous : on aura le droit aux paillettes, mais également aux lendemains qui ne chantent plus. Cette dualité est le résultat d’une évolution d’une année amenant les quatre musicien.ne.s à nuancer leur propos. On retrouve tout d’abord des brûlots garage lancés à toute allure, dont on imagine bien les effets dévastateurs qu’ils produiront en live. Le tout premier titre, éponyme, avec ses paroles qui tiennent en trois phrases (‘Les jeunes veulent faire la fête. / La Flemme veut faire la fête. / Marseille veut faire la fête‘) est évidemment fait pour qu’on l’hurle à gorge déployée en perdant la tête, tout comme Marre de Vous et Demain. Dans ce registre, c’est pourtant Le Petit du Camas qui remporte la palme : après un calme démarrage, destiné à créer de la compassion pour le personnage dont parle la chanson, une explosion punk, viscérale, crachera son scandale à l’égard de la situation décrite, en même temps que ses choeurs rassembleurs et son solo de guitare héroïque paraîtront constituer des appels décomplexés à la révolution. En se basant sur ces moments de bravoure, on peut établir une continuité entre l’EP et l’album, à ceci près que le groupe y intègre d’une manière plus franche des éléments de critique sociale tout en atténuant quelque peu la frontalité et l’agressivité brute de ses titres les plus enlevés en diversifiant leur dynamique. Loin de leur faire perdre en énergie, cela leur permet d’entretenir celle-ci, et on mesure bien de ce point de vue les apports de Ronie Marciano, qui insuffle dans la formule garage du groupe des éléments psyché la colorant et l’étirant pour en révéler les possibilités. Ce que montre de façon exemplaire Tunnel, l’instrumental de l’album, en se développant par strates, s’accélérant inexorablement jusqu’à une forme de paroxysme.

Cette diversification du son permet également d’étoffer et, même, de dramatiser le propos de La Flemme qui, s’il se centre sur le thème de la fête, cherche à en saisir les contradictions et, finalement, les impasses. Sous ses dehors insouciants, l’album laisse apparaître progressivement une sorte de crise existentielle : la fête, comme aspiration au lâcher prise libérateur, ne serait-elle pas au fond le moyen de notre aliénation ? L’ivresse, en se répétant, ne devient-elle pas la forme que prend le désir de s’oublier soi-même ? La fête nous happe, mais ne laisse finalement que des interrogations et des insatisfactions. Ce constat délivré par La Flemme est décliné de deux façons : sur les morceaux chantés par Jules Massa transparaissent soit le désir fou de faire la fête, soit le dégoût vis-à-vis de celle-ci ; sur ceux interprétés par Stella Lopez, en apparence plus légers, affleurent soit une forme de désorientation (Mer Azur), soit de l’épuisement entraînant le désir de se mettre à l’abri du monde et de ses sollicitations (Laissez-Moi Tranquille). Cette implication bien venue de la bassiste dans la composition, toute d’une simplicité pleine de justesse, ouvre également de nouveaux horizons avec Sans Fond, qui épouse une certaine orthodoxie pop indé bien éloignée du garage des débuts.

La Flemme a de la personnalité, c’est sûr, mais son sens du collectif lui permet de la diffracter avec éclat dans de nouvelles directions. Échappant tout autant à l’uniformité et à la redite qu’à la dispersion et à l’incohérence, le groupe Marseillais se montre, tout au long de La Fête, bien décidé à assumer avec clairvoyance la pluralité de ses désirs. On voudrait l’enfermer dans une formule, le voilà qui fait un pas de côté en nous tirant la langue, frayant seul sa voie avec sagacité et panache. En quelque sorte, le flegme de La Flemme.

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ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
La Fête, Laissez-Moi Tranquille, Marre de Vous, Le Petit du Camas

EN CONCERT

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