
03 Juil 23 King Krule – ‘Space Heavy’
Album / XL / 09.06.2023
Blues thérapie
Peu d’artistes peuvent se tarir d’entretenir une telle singularité musicale, à la fois intense, marquante, et reconnaissable entre mille. Celle de King Krule nous envoûte depuis déjà dix ans maintenant, lui dont nous suivons et absorbons comme des éponges le spleen qu’il maitrise avec virtuosité depuis son adolescence, si ce n’est plus. Le jeune surdoué, âgé maintenant de vingt-huit ans, a désormais quitté son Londres natal pour rejoindre la mythique ville de Liverpool, dans le but d’y trouver sans doute une vie plus calme et paisible pour lui et sa jeune progéniture.
Paisible peut-être, mais pas sans tourments existentiels et interrogations éternelles sur la vie. Son nouvel album intitulé Space Heavy en est le juste récit, à la fois doux, cotonneux, et habité. Il faut du temps pour y déceler toutes les subtilités, les nuances, et y décrypter toutes les humeurs et les états d’âme de son créateur, touché profondément par sa nouvelle vie. Archy Marshall conte ici ses trajets réguliers entre ces deux villes qu’il affectionne. Il y aborde le changement, les choix, la parentalité et les questionnements qui y sont liés. Ici, et bien que réussies, les décharges post-punk énervées se font beaucoup plus rares (Pink Shell, Hamburgerphobia) et laissent place à des ballades solaires (Seaforth), des envolées pop (From the Swamp), et des ambiances plus mélancoliques et flottantes (If Only It Was Warmth), parfois même au bord de la léthargie (Our Vacuum). Comme si sa nouvelle vie de banlieusard l’affectait plus qu’on ne le pense, le britannique aborde sur ce quatrième album, avec pudeur, franchise et poésie, les amours qui se désintègrent et les déceptions humaines, ainsi qu’une certaine nostalgie de la vie d’avant, lui qui semble pourtant un jeune père comblé aujourd’hui. Avec une assurance et une maitrise inégalée, il assène son spoken word dans des atmosphères brumeuses, comme si Gil Scott-Heron s’exerçait sur les nappes de guitares vaporeuses de Mica Levi, avec toujours ce saxophone en fond qui va et vient, comme un constant clin d’oeil au free jazz qu’il aime particulièrement.
Space Heavy est un disque aérien, sur lequel Archy Marshall s’adoucit et offre, non pas la paix intérieure, mais l’un des chemins escarpés pour y parvenir. Ce qu’il perd en surprise, il le gagne en cohérence, et sans jamais perdre une once d’authenticité et de singularité. Un disque abouti, envoutant à souhait, comme un carnet intime qu’on lirait passionnément, pour mieux le comprendre, pour mieux se comprendre.
A ECOUTER EN PRIORITE
Flimsier, Pink Shell, Seaforth, Hamburgerphobia, From The Swamp, If Only It Was Warmth
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