01 Juin 24 King Hannah – ‘Big Swimmer’
Album / City Slang / 31.05.2024
Indie rock & folk
Autant le dire tout de suite : Big Swimmer, le deuxième album de King Hannah, est une magnifique réussite. Égalant largement son prédécesseur, pour rester mesuré ; le dépassant allègrement, pour faire preuve de subjectivité. L’évidence saute aux oreilles dès les premiers morceaux, immédiatement séduisants là où ceux de I’m Not Sorry, I Was Just Being Me, en 2022, arrachaient la conviction sur la durée, par la mise en place progressive d’ambiances brumeuses, hantées par une mélancolie lancinante. À croire que la vie en tournée, et notamment la confrontation aux grands espaces américains, aura révélé le groupe à lui-même, des possibilités artistiques nouvelles semblant surgir de la découverte d’horizons dégagés, permettant de rompre avec cette impression d’uniformité qui caractérisait jusqu’alors ses productions. C’est sans doute ce qui est le plus remarquable ici, outre les qualités mélodiques des chansons proposées : la diversité des approches, parfaitement combinées les unes aux autres dans le déroulé cohérent et véritablement prenant de l’album. Les effets de surprise sont réguliers, maintenant l’attention en continu, mais n’ont jamais rien d’artificiel puisqu’ils contribuent à intensifier l’émotion de façon saisissante. Et il faut ajouter que cette évolution se réalise sans que soit sacrifiée l’essence même du groupe, à savoir la touchante pesanteur de la voix d’Hannah Merrick, protégée et mise en valeur par la guitare significativement erratique de Craig Whittle.
L’entrée en matière, Big Swimmer, en collaboration avec Sharon Van Etten, est déjà une démonstration élégante de la capacité de King Hannah à combiner les atmosphères; la ballade acoustique du début, délicatement intimiste, s’ouvrant progressivement, avec l’apparition des autres instruments, vers un ailleurs à l’amplitude réconfortante. On s’attendait alors à évoluer dans un registre plutôt folk, mais New York, Let’s do Nothing impose un brillant démenti. Ce second morceau, outre le fait qu’il montre une nouvelle aptitude à présenter des mélodies bien identifiables et accrocheuses, alterne couplets en spoken word influencés nettement par Dry Cleaning – ce que l’on retrouvera également sur Milk Boy (I Love You) – et refrains méchamment lardés de guitares tranchantes faisant ressortir, contre toute attente, le caractère menaçant de la voix. Lily Pad, un peu plus loin, affichera également la même sensualité trouble et agressive. De ce point de vue, là où le premier album donnait plutôt l’impression de flottement typique d’un repli vers son propre monde intérieur, le second donne de la chair aux compositions et ancre celles-ci, avec force, dans le monde extérieur.
Si on excepte The Mattress qui, en laissant traîner langoureusement la voix d’Hannah Merrick sur des arrangements proches du trip hop, se rapproche un peu mieux de I’m Not Sorry, I Was Just Being Me, le traitement des morceaux plus longs et plus calmes souligne également, en milieu d’album, cette dimension plus physique de la musique. Suddenly, Your Hand et le prodigieux Somewhere Near El Paso commencent comme des ballades, lumineuse pour la première, dans une sorte d’attente moite et inquiète pour la seconde, mais voient d’orageuses guitares, après plus de quatre minutes, faire exploser le cocon créé par la voix, livrant l’auditeur à une transe fiévreuse, au milieu des éléments déchaînés.
La fin du disque sera, elle, le moment de l’apaisement. Sous des dehors pop assumés, Davey Says ne fait encore qu’approcher la légèreté, des sonorités bien grunge salissant par intermittence le refrain, tandis que le duo vocal forme un mélange paradoxal de confiante clarté et de sombre inquiétude. Mais tout de suite après, Scully – un court intermède musical – laisse la place à deux ballades clairement et uniformément folk, This Wasn’t Intentional (là encore en duo avec Sharon Van Etten) et John Prine On The Radio qui semblent signifier, par leur absence d’ambiguïté – l’une des caractéristiques fondamentales de tous les autres morceaux – la conquête d’une forme de sérénité au terme d’un long et tumultueux voyage spatial et musical.
King Hannah, habitué à évoluer dans une intériorité troublée, s’est ainsi confronté au lointain, aérant son propos pour acquérir la dimension d’universalité qui lui faisait défaut jusqu’alors. En refusant de se laisser à nouveau porter par les vagues à l’âme, Big Swimmer trouve ainsi sa singularité et sa valeur dans l’incitation courageuse à apprendre à nager dans le courant.
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