10 Août 24 King Gizzard & The Lizard Wizard – ‘Flight B741’
Album / P(doom) / 09.08.2024
Country rock
Nous sommes déjà en août et découvrons, stupéfaits, que ce sera le mois de la sortie du premier album de King Gizzard & The Lizard Wizard pour cette année 2024. Les australiens sont légèrement en retard par rapport à l’an passé – puisqu’ils présentaient un album métal en juin (PetroDragonic Apocalypse (…), et un autre électronique en octobre (The Silver Cord) – mais sont carrément à la bourre si on se réfère à l’épique année 2022 qui les a vus afficher pas moins de cinq albums à leur compteur, dont certains pouvant sans problème être rangés parmi leurs meilleurs. Peut-on en conclure qu’il est à présent possible de suivre la cadence des six musiciens, et ainsi de mieux prendre la mesure de chacun de leurs efforts discographiques, et même, pourquoi pas, d’avoir le temps de réévaluer ceux du passé noyés dans le rythme infernal des sorties (et l’on songe en particulier à l’extraordinaire Omnium Gatherum, synthèse parfaite de l’ensemble des talents s’exprimant depuis maintenant quatorze ans au sein de la formation originaire de Melbourne) ? L’imprévisibilité et l’absence de plan de carrière – comme peut-être, même, l’absurdité de l’application du concept de carrière dans le cas présent– étant la marque du roi gésier et de son acolyte, le sorcier lézard, on se permettra juste de profiter d’un dosage actuel plus parcimonieux de l’expression de sa créativité pour porter une attention plus sereine et plus concentrée sur les productions de ces artistes hors norme.
Voici donc Flight B741, vingt-sixième album et fruit d’un ‘week-end hyper sympa entre potes’ selon les dires de Stu Mackenzie, guitariste et chanteur emblématique du groupe. À en croire ce dernier, l’objectif fixé était de passer deux semaines en studio et de s’amuser de la manière la plus spontanée possible, en délaissant les approches plus conceptuelles caractérisant les productions de ces deux dernières années. Mais il faut bien le reconnaître, quand King Gizzard & The Lizard Wizard prétend être ‘conceptuel’, le résultat est la plupart du temps franchement fun. Et quand il déclare vouloir s’’amuser’, on se doute bien que le concept n’est jamais très loin, les australiens étant trop doués et intelligents pour ne pas assurer cohérence et pertinence à leur musique. Le concept, ici, est celui d’un genre musical donnant sa couleur principale à l’album, à savoir le country rock. Ce genre, développé au début des années 70 par Gram Parsons, lequel reste à ce jour très probablement son plus illustre représentant, n’apparaît sur Flight B741 que croisé avec la version modernisée et copieusement électrifiée du rock sudiste joué, par exemple, par les Black Crowes, à ceci près que la bonne humeur et l’esprit de corps de la bande à Mackenzie confère à l’ensemble légèreté et folie débridée (mais jamais complètement incontrôlée), marqueurs évidents de leur singularité. En ouverture, Mirage City déverse instantanément un groove aussi joyeux que fougueux, qui ne se calmera qu’à la toute fin du dernier morceau de l’album. Le rythme des morceaux restera soutenu, évoquant le blues rock d’Humble Pie ou celui magnifié par les harmonies vocales des Beach Boys dans les seventies (sur Carl And The Passions, notamment, que rappelle sous certains aspects le morceau éponyme de l’album des australiens, Flight B741), ou bien encore la country soul du premier album de Stephen Stills (Antarctica), voire les moments les plus country rock d’Exile On Main Street des Stones (Raw Feel) ou ceux, plus pop et concis, de Give Out But Don’t Give Up de Primal Scream (Field of Vision), ou enfin la soul légèrement mâtinée de disco (Le Risque).
Comme souvent, ce qui impressionne avec King Gizzard & The Lizard Wizard, c’est la qualité des compositions qui, très souvent, présentent des refrains imparables, euphorisants et trépidants, tout en ménageant de soudaines et excitantes variations. Les plus raides d’entre nous taperont du pied, les plus souples et hardis se déhancheront rapidement et accompagneront bien volontiers les ‘woooooooh’ habituels de Stu Mackenzie qui sont, avec les envolées de l’harmonica, autant de signaux invitant à lâcher prise. Cela conduit d’ailleurs, en fin d’album, à décrocher quelque peu : Sad Pilot et Rats In The Sky, sans être de mauvaises chansons, n’en restent pas moins quelque peu répétitives. Daily Blues, le dernier morceau, évite ce défaut par sa démesure : à la manière de Evil Death Roll sur Nonagon Infinity, c’est un titre synthétisant tout l’album, un gros mille-feuille roboratif dont on laissera libre chacun de décider s’il est la gourmandise de trop ou la cerise sur le gâteau.
Flight B 741, conformément aux souhaits de ses auteurs, exsude la joie d’être ensemble, et s’impose à ce titre comme l’album estival parfait. Le décollage est immédiat et lorsque le refrain d’Antarctica lance des ‘Take me away’ à tout va, il est impossible de résister à cet appel au voyage. Ici, ça chante en choeur, ça se partage les couplets dans une atmosphère délicieusement festive (avec des mentions spéciales à attribuer au batteur Michael Cavanagh qui, sur Le Risque, fait découvrir la sensualité rugueuse de sa voix – une première chez King Gizzard -, ainsi qu’à Ambrose Kenny Smith, toujours parfait lorsqu’il s’agit d’imposer des ambiances plus soul et funky). Et en définitive, ce qui ressort le mieux de ce nouvel opus, c’est le fait que le tout est toujours plus que la somme de ses parties : une entité qui n’a pas la pesanteur et les limites de l’identité individuelle, mais plutôt le souffle et la puissance des projets à plusieurs.
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