Kevin Morby – ‘This Is a Photograph’

Kevin Morby – ‘This Is a Photograph’

Album / Dead Oceans / 13.05.2022
Indie folk

Comme un arrêt sur image, notre actualité concernant Kevin Morby était restée bloquée en 2017 sur City Music. Une véritable claque à l’époque, avec ses références parfois stoogiennes (voir les discrets accords de piano répétitifs sur Crybaby) et une voix qui flirtait avec celle d’un Lou Reed circa Velvet Underground. Un morceau dédié aux Ramones achevait cette ambiance très New-Yorkaise. Un album plus que réussi que l’on avait usé jusqu’à la corde. Directement rentré dans le cercle restreint de ceux qui nous accompagneront toujours, comme ces photos usées et jaunies que l’on garde malgré tout dans son portefeuille. Pour ne pas oublier.

Le temps a passé. Oh My God et Sundowner ont succédé à City Music, sans parvenir à raviver la flamme. La barre avait été placée haut et l’attente était sans doute trop forte. Faute de retrouver la saveur originelle, d’autres ont pris la place, comme Arthur SATàN ou Magon plus récemment, écartant l’américain du cadre de la photo.

Et c’est sans espoir mais avec curiosité que l’on a accueilli This is A Photograph, single annonçant le long format éponyme. Il faut l’avouer, l’envie a d’abord été suscitée par le titre du morceau et l’histoire qui l’accompagnait. Fauché par une attaque lors d’un repas familial, le père de Kevin Morby part au urgences. Le chanteur, que l’on imagine traumatisé dans l’attente de nouvelles de l’hôpital, occupe le temps comme il peut, en consultant notamment des photos de famille retrouvées dans une boite du sous-sol de sa maison d’enfance à Kansas City. Le point de départ de l’album sera une image de son père torse nu et en pleine forme. Morby tient les paroles de son premier morceau et le fil rouge d’un disque qui oscille entre souvenirs, regrets et espoir : This is a photograph / a window to the past / of your father on a front line / with no shirt on / ready to take the world’.

L’américain touche ici la corde sensible, prenant conscience que la vie s’écoule sans nous attendre. Il réalise et décline l’idée qu’on le comprend en consultant ces photos, souvenirs de ceux qui nous sont proches et dont ne connaît finalement pas grand-chose… C’est sur ces réflexions métaphysiques que reposent les 10 morceaux d’un album très personnel, bande-son parfaite d’un printemps pluvieux qui fait ressortir les couettes ou rallumer un feu de cheminée.

Mais This is A Photograph ne doit pas tromper l’auditeur. C’est le seul morceau avec Rock Bottom où l’énergie rock est mise en avant. Tous les autres, plus introspectifs, sont calmes et posés. On est ici loin du New-York d’il y a 5 ans. Dans la plus pure tradition Americana, Kevin Morby convoque les classiques de l’Amérique profonde. Le souvenir d’Elvis et de Graceland, la traversée de la Highway 61 précèdent une pause sur les rives du Mississipi, hommage à Jeff Buckley et Jay Reatard sur A Coat Of Butterflies.

La construction des morceaux est toujours la même, deux accords ou deux notes qu’on imagine trouvés à l’occasion de ce périple sont systématiquement répétés comme un mantra tandis que des instrumentations toutes plus nombreuses les unes que les autres viennent broder autour du thème. Les classiques piano et guitare sont ainsi tour à tour accompagnés par de la harpe, du saxo, du banjo, de la flûte, du tambourin et même des cordes que rejoignent sur certains morceaux les chœurs d’anciens élèves de la Stax Academy ! Chaque nouvelle lecture est l’occasion de découvrir un détail sur lequel on était passé la première fois. Cet album ne se laisse pas apprivoiser immédiatement et nécessite qu’on y revienne pour l’apprécier.

Surtout, la voix est impressionnante, prenant parfois des accents dylaniens comme sur A random Act of Kindness. Les textes bouleversants, petites vignettes de vie universelles, prennent aux tripes. Kevin Morby raconte la vie tout simplement et nous entraîne avec lui dans sa réflexion sur le temps qui passe.

Evoquer la nostalgie à l’heure actuelle est un pari risqué mais c’est une démarche authentique tout à fait convaincante. A l’heure de la surenchère, de la course aux effets spéciaux, du numérique et de Photoshop, This Is A Photograph serait plutôt une photo argentique en noir et blanc. On ne la verra sans doute pas sur tous les réseaux sociaux mais elle résistera à l’épreuve du temps. Parions que dans quelques années on pourra la ressortir fièrement, toujours aussi belle et émouvante. Comme ces photos que l’on garde dans son portefeuille.

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A ECOUTER EN PRIORITE
This Is a Photograph, A Random Act of Kindness, A Coat of Butterflies


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