Kevin Morby – ‘More Photographs (A Continuum)’

Kevin Morby – ‘More Photographs (A Continuum)’

Album / Dead Oceans / 26.05.2023
Folk

Depuis 2019, Kevin Morby a pris l’habitude de sortir un album par an. On s’était à peine remis de son chef d’oeuvre de l’année dernière, le touchant This Is A Photograph, que le natif de Kansas City publiait au début de l’année Music From Montana Story, révélant au passage une chanson de country brute et poignante, One Paper Kid, avec sa compagne Waxahatchee. Quatre mois plus tard, le voilà étonnamment de retour avec More Photographs (A Continuum). En présentant cinq réinterprétations ou versions alternatives de morceaux de This Is A Photograph, ce nouvel album approfondit et réoriente le travail mémoriel débuté en 2022 mais, grâce à quatre inédits, semble avoir également pour fonction de poser des jalons pour le futur du musicien.

En ce qui concerne les réinterprétations, deux manières, ici, se distinguent. Le dépouillement, tout d’abord, de Bittersweet Tenessee, Song For Katie et Mickey Mantle’s Autograph, ces deux derniers morceaux étant de nouvelles lectures de Stop Before I Cry, pour le premier, et de Goodbye To Good Times, pour le second. Avouons-le, même si ces versions sont très belles, elles peinent à faire oublier la splendeur de l’orchestration des originales, qui restent bien présentes à l’esprit un an après leur sortie. Bittersweet Tennessee, surtout, souffre de la comparaison : là où le titre de 2022 éblouissait par sa vibrante nostalgie, accentuée au bon moment par l’ampleur des cordes, la nouvelle approche étire et ralentit le morceau, tout en le privant de son souffle lyrique. La seconde manière – la plus convaincante – prend le contre-pied de la première puisqu’elle consiste à rajouter de l’ornementation et insuffler un nouvel élan rythmique à des titres comme This Is A Photograph et Five Easy Pieces, ce qui permet à Kevin Morby de s’engager avec brio sur une voie côtoyant celle de la Soul dans son versant le plus soyeux, celui du Philly sound.

Les quatre morceaux inédits de l’album dessinent, en partie, les contours de nouvelles directions musicales. On passe sur le blues assez conventionnel de Lion Tamer et Going To Prom (qui, en reprenant des éléments mélodiques du titre This Is A Photograph, n’est que partiellement une nouveauté), pour se concentrer sur les somptueux Triumph et Kingdom Of Broken Hearts qui, à eux seuls, suffiraient à faire de More Photographs un incontournable de la discographie du songwriter américain. Triumph fait référence au tragique accident de voiture de Chris Bell, guitariste et chanteur de Big Star, en 1978 à Memphis. Cela débute comme une ballade classique avant que l’envolée grave et pourtant majestueuse du refrain ne confère au titre une dimension véritablement cosmique. Dans ce passage d’une sombre ampleur, on prend place dans la Triumph TR7 au moment où Chris Bell en perd le contrôle et, en apesanteur, quelques secondes avant l’événement fatal qui le verra se fracasser contre un poteau, on entrevoit en un éclair l’éternité. ‘Driving Fast’, chante alors lentement Kevin Morby, parvenant à rendre sensible et intelligible le douloureux désir d’absolu de celui que l’on entendra proclamer, à titre posthume, ‘I Am The Cosmos’. Avec Kingdom Of Broken Hearts, qui clôt l’album, on revient à la soul, et d’une façon qui permet d’explorer un autre pan de la glorieuse histoire musicale de Memphis. Si les cordes sont toujours là, leur aspect velouté est largement contrebalancé par une rythmique et des choeurs très Southern Soul, ce qui permet à la chaleureuse mélancolie de Kevin Morby de trouver une assise et une envergure toutes nouvelles. L’ambition de More Photographs se réalise probablement avec ce dernier morceau programmatique, capable de jeter des ponts vers le passé, du côté de Stax Records et des légendes de Memphis, pour en retirer les ressources permettant à son auteur d’aborder avec assurance de nouvelles étendues musicales. Le voyage en terre des souvenirs accomplit par This Is A Photograph, s’achève donc ici, dans la pleine conscience que la véritable fonction de la mémoire est de toujours servir de voie d’accès à l’avenir.

ECOUTE INTEGRALE

A ECOUTER EN PRIORITE
Triumph, Kingdom Of Broken Hearts, This Is A Photograph II


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