
05 Mar 21 Julien Baker – ‘Little Oblivions’
Album / Matador / 26.02.2021
Pop émo
Pour sa troisième réalisation, Julien Baker a décidé d’électriser ses passions et ses doutes. Elle s’éloigne de la culture folk de son Tennessee natal pour des chemins ouvertement plus pop et arrangés, certes plus visibles, mais aussi plus rebattus.
Little Oblivions prend dès lors l’aspect d’un jeu d’équilibrisme savant pour ne pas se couper des inconditionnels et forger une nouvelle cohorte de fans. Classique. Beaucoup l’ont fait avant, avec plus ou moins de réussite, d’Alela Diane à Angel Olsen, ou plus récemment sa copine Phoebe Bridgers. Il faut d’ailleurs chasser de son esprit le fantôme de la Californienne (et de leur collaboration sur le projet Boygenius), si on veut profiter pleinement de cet album, mais la chose n’est pas aisée, tant l’excellent Punisher de Bridgers paraît être l’étalon sur lequel se calibrent le son et la voix de Little Oblivions. Il y a certes pire comme référence, mais c’est quand même encombrant.
Effacé ce calque, on entre dans l’album par un choix musical qui pourrait, là encore, être une chausse-trappe. Hardline est un titre aux paroles bouleversantes – Baker reste impeccable dans ses thèmes et ses mots – de colère et de détresse, évoquant successivement la drogue, la dépression, l’espoir (ou pas) de rédemption, mais il est porté par des arrangements pop sans subtilité qui étouffent l’ensemble au lieu de le porter.
Heureusement, s’enchainent onze autres titres évitant les écueils qui permettent de donner une belle densité aux effusions de la jeune femme. On retrouve avec enthousiasme (même si le mot ne convient jamais vraiment à ses balades dépressives) son sens mélodique sur des titres doucement gonflés d’électricité et de percussion (Faith Healer, Bloodshot, Ringside, Highlight Reel), on se réjouit de la belle montée de Repeat. Quant aux retrouvailles avec Phoebe Brigers et Lucy Dacus sur Favor, elles montrent à l’évidence une très proche communauté d’esprit pop entre ces trois là.
Les fans de la première heure, à qui manque son lamento étreignant ou simplement le dépouillement folk, peuvent aussi se réjouir, Julien Baker n’oubliant pas d’où elle vient et se rappellant à eux avec trois des titres les plus renversants du disque : Crying Wolves, Song In E, et surtout Ziptie qui clôt magistralement l’album sous forme d’une prière où transpirent tous ses doutes. La religion innerve encore beaucoup ses propos, mais jamais comme un réconfort.
La (très jeune) musicienne reste hantée par ses peurs, ses démons, ses envies. Elle épanouit sa vie de femme, son oeuvre musicale, et ses études d’un même front. On ne peut qu’imaginer la difficulté, au quotidien, pour choisir quel engagement prioriser. Elle traîne ses failles et son instabilité dans ses compositions, transforme sans fausse note sa fragilité en force et nous emporte dans son tourbillon.
A ECOUTER EN PRIORITE
Faith Healer, Crying Wolves, Bloodshot, Favor, Ziptie
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