John Cale – ‘Mercy’

John Cale – ‘Mercy’

Album / Domino / 20.01.2023
Pop electro expérimentale

Faut-il encore présenter John Cale ? Fondateur du Velvet Underground avec Lou Reed, formé à New-York par de grandes figures de la musique contemporaine (John Cage, LaMonte Young, Aaron Copland et Terry Riley en tête), le chanteur et multi-instrumentiste gallois revient aujourd’hui avec un nouvel album de chansons originales d’une profonde noirceur et d’une confondante modernité. Si l’on excepte la (re)trouvaille de Music for a New Society et sa relecture M:Fans en 2016, le dernier album original de John Cale remontait à 2012, avec le ludique et déjà très électronique Shifty Adventures in Nookie Wood.

Dans un univers à la fois nocturne, fantasmagorique et parfois lugubre, ce nouveau disque s’impose comme un maelstrom de souvenirs, de regrets, de pensées et de torpeurs mis en musique avec soin sous une patine gluante (les effets, le mixage, la production, les structures) mais jamais totalement surannée, bien au contraire. Là où son homologue Iggy Pop s’illustrait ce mois-ci dans une rutilante production rock FM quelque peu dépassée malgré quelques bonnes compositions, John Cale choisit lui d’arpenter des territoires peu reluisants, tant en terme de production que d’écriture, quand ces derniers ne sont pas directement repoussants ou hermétiques, tel l’éternel homme de l’ombre qu’il semble se conformer à être depuis toujours.

Une âme solitaire donc ? Pas tout à fait puisqu’il apparaît ici entouré d’une pléthore d’invités (Weyes Blood, Animal Collective, Fat White Family, Actress, Tei Shi, Sylvan Esso ou encore Laurel Halo) aux participations plus ou moins perceptibles mais jamais totalement vaines. Parmi les autres invités du disque, on y croise notamment les fantômes de Marilyn Monroe et surtout de Nico, à travers de beaux hommages rendu à ces muses par le prisme de la distance et du poids du souvenir. Mais qu’on se rassure, il y en a aussi pour les vivants, notamment le temps d’un Time Stands Still qui s’inscrit pleinement dans la ligne tracée par Brian Eno ou David Byrne jusque dans ses envolées dadaïstes empreintes de post-modernisme (‘The melody that was langage was the hook that caught the fish‘). Des paroles qui se révèlent bien souvent comme le véritable point fort du disque tant elles sont lucides et acquièrent une autonomie propre, résilientes, pour trouver la paix entre les lignes, la force d’avancer dans les mots, et ainsi générer de la lumière dans les images blafardes. Ici comme ailleurs, l’album se fait alors commentaire de son époque, quitte à générer parfois une exégèse et une emphase quelque peu déconnectée de sa réelle portée.

Semblant travailler avant tout à la cohérence de l’ensemble, quitte à manquer de nuances et à masquer parfois des reliefs pourtant bien réels dans ces nouvelles compositions, John Cale bâti un monde froid, clivant et urbain où les émotions sont pourtant omniprésentes. Pour ce qui est des repères, de l’ancrage en terrain connu, il faudra attendre le dernier morceau, Out Your Window, pour relier ces échappées futuristes au passé et retrouver un frisson proche de celui laissé par le splendide album live Fragments Of A Rainy Season, chef d’œuvre de dépouillement et d’absolu dans la longue et remarquable discographie de Cale. Jamais décevant au piano (comme dans l’introduction de Story Of Blood), il n’en demeure pas moins percutant lorsque l’on mesure la place centrale qu’occupent les machines dans ce disque. Toujours maîtrisées et jamais ostentatoires, elles s’imposent peu à peu dans l’évolution esthétique de Cale comme une étape supplémentaire, entre mise en danger et volonté d’explorer encore l’avenir sans jamais toutefois renier son propre passé.

Rappelons, après tout, que c’est là l’œuvre d’un octogénaire qui n’a plus rien à prouver depuis, au moins… 1967. Et, dans ces conditions, la dimension crépusculaire qui découle de l’humilité de ce projet, de la précision de son écriture ou du travail de ses couleurs force évidemment le respect.

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A ECOUTER EN PRIORITE
Marilyn’s Monroe Legs (Beauty Elsewhere), Not The End of The World, The Legal Status of Ice, Out Your Window


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