Jenny Hval – ‘Iris Silver Mist’

Album / 4AD / 02.05.2025
Indie

Le nouvel album de Jenny Hval trouve son inspiration et son titre dans une passion soudaine pour la parfumerie, survenue pendant le confinement. Iris Silver Mist, qui est avant tout le nom d’une ancienne fragrance, confirme le virage mélodique et thématique pris depuis  Classic Objects, confirmant que la pop unique et volatile de l’artiste norvégienne protéiforme est à son apogée, légère et éthérée comme un parfum d’été.

‘Froid et piquant, doux et chatoyant, on se croirait dehors par un matin brumeux, le corps encore chaud du sommeil’… Voilà la définition que donnait son créateur au parfum Iris Silver Mist. Est-ce qu’elle correspondait alors au vécu ou au ressenti de Jenny Hval pendant sa ‘réclusion’, auprès de sa mère en 2020 ? (Il faudra sérieusement qu’un jour prochain, l’anthropologie se penche sur les conséquences du COVID sur l’inspiration et le renouvellement des thèmes des artistes, avis aux chercheurs et étudiants) Mais il est certain qu’à l’écoute de l’album, des paysages brumeux et informels se composent successivement en nous, légers ou inquiétants, comme Jenny Hval a toujours su les faire advenir. Les brumes du petit matin nous accompagnent sur la promenade tendre et suspendue Lay Down, alors que l’épopée incroyable que forment Spirit Mist, I Don’t Know What Free Is, The Artist Is Absent et Huffing My Arm a la grandiloquence et le kitch d’un opéra médiéval (en attestent les choeurs gothiques de I Don’t Know What Free Is) ou steampunk, métallique et déstabilisant, puis délicieux et onirique, avant un passage électronique très ‘club’ et un final rétro digital, céleste et évanescent.

Ce concept album, comme un parfum, est d’ailleurs à apprécier dans sa globalité. Il y est question d’identité, de réminiscence, de poésie (le clin d’oeil à Gertrude Stein : ‘Rose Is A Rose Is A Rose Is A Rose‘), de plaisir, de mélancolie… Toutes choses insaisissables que la norvégienne sait parfaitement incorporer par le jeu des sonorités, du contrepieds, de la progressivité… Drones stimulants ou inquiétants, rythmique jazz sereine, modulations de voix allant de l’angélisme à l’imprécation de sorcière, on est renversé par sa maîtrise dans les titres les plus longs, All Night Long et I Don’t Know What Free Is. Iris Silver Mist est impeccable si on s’attache à une approche globale.

Dans le détail, on regrettera, même sur les titres les plus bouleversants (Lay Down, To Be A Rose, A Ballad) que ‘l’effet’ Hval se résume à la même recette, certes efficace et surprenante, mais trop souvent réitérée : une exposition aride, minérale, soudainement renversée par de grands emportements lyriques hyper efficaces. Une remarque qui vaut à peine une critique tant l’album est homogène, admirablement évolutif, et porté par une artiste authentique, intègre et touchée par la grâce.

Comme un parfum, les brumes d’Iris Silver Mist recomposent incessamment la réalité par le biais d’artefacts. C’est la raison d’être de ce disque : à l’instar du poème de Stein, les paroles de Jenny Hval explorent la mobilité des apparences, les présences, les disparitions, jouant sur les notions d’odeurs, de parfums, de brumes, de voiles, de brouillards, de souvenirs. Album hanté et attractif, cohérent et enivrant, Iris Silver Mist est un très bon millésime, et surement un des grands albums pop de cette année.

Photo : Jenny Berger Myrhe